Adélaïde

130 25 30
                                    

La grosse théière, une vieille pièce en fonte polie par des années de breuvage, trônait au centre de la table, au milieu de la salle principale de la planque glacée. La couleur partait sur le ventre gonflé de l'antique objet qui exhalait une fumée odorante sans parvenir à réchauffer les sorciers assis autour du plan de travail.

Adélaïde avait fait bouillir de l'eau et sortit de son sac le vénérable récipient, et une boîte de thé. Elle en avait toujours avec elle.

William et Josko, attablés en face, l'observaient sans rien dire. Venant de sa part, avec son allure d'aristo, son maintien impeccable, ses mains fines, délicates, et son port de tête droit... avec cette façon d'être qui oscillait entre mépris et sourire condescendant, même quand Fillip l'envoyait balader... Venant de sa part, donc, c'était surprenant, qu'elle s'abaisse à préparer elle-même son thé.

Pourtant, la théière exhalait des volutes de vapeur blanche, du bout du bec et par le capuchon un peu ébréché.

La sorcière remonta ses longs cheveux, lisses et presque noirs, en un chignon rapide, puis prit place à table. Enfin, elle se versa une tasse, complètement absorbée par la tâche. Absente, jusqu'à ce qu'elle redresse l'objet et que le liquide cesse de couler.

Elle servit Will, mais pas Josko. L'un en voulait, l'autre pas, Adélaïde le savait sans qu'ils aient besoin de le dire.

« Pensez moins fort, si ça vous met mal à l'aise, fit-elle avec son petit air supérieur, en soufflant sur le mug, les doigts entrelacés sur la surface brûlante.

— Alors ? Elle est hors de danger ? » demanda William.

Cette question, il s'était retenu de la lui poser depuis son arrivée, mais elle n'avait pu échapper au mentalisme de la jeune femme. La doctoresse venait de passer plusieurs heures à soigner leur prisonnière. William Gamp n'était pas réputé pour sa délicatesse et, pour cet interrogatoire, il s'était surpassé.

« Oui » dit-elle, les yeux au fond de la tasse qui avait pris une teinte sépia, avec quelques poussières noires en suspension dans l'eau.

Elle jeta un regard derrière elle. Ils avaient installé un lit de camp dans le coin le moins gelé de la grande cuisine. Adélaïde, malgré la pénombre, distinguait le visage apaisé, mais toujours livide de sa patiente inconsciente.

« Oui, mais ça s'est joué à peu, conclut-elle

— Une fois qu'elle a cédé, on n'avait pas plus de motifs que ça de s'en préoccuper, justifia William d'un air désolé. Même le chef a paru surpris que Leuthar veuille la récupérer.

— J'imagine qu'il a de bonnes raisons.

— Tu as pu lui tirer des infos ? » demanda Josko à l'adresse de son collègue.

Dans la précipitation qui avait suivi la requête du leader, ils s'étaient dépêchés de ramener la prisonnière que William avait laissée pour morte, et n'avaient pas eu le temps de débriefer de l'interrogatoire. Le mécamage se gratta le menton en soupirant.

« Oui, plus ou moins. C'est toujours compliqué de distinguer quand ils mentent ou quand ils parlent juste pour avoir une pause dans... enfin... vous voyez. »

Il ponctua son malaise par une gorgée de thé, alors que Josko approuvait d'une grimace.

« Bref, elle m'a listé des planques qu'on avait déjà repérées, elle dit ne pas savoir comment ils s'approvisionnent et être la seule sorcière à travailler avec eux à sa connaissance. Enfin, si j'avais su que vous veniez, Adélaïde, je ne me serais pas donné toute cette peine. »

L'intéressée lui adressa un sourire retenu. Elle irait, en effet, chercher les réponses à leurs questions directement dans le crâne de la jeune femme.

D'iris et d'acierOù les histoires vivent. Découvrez maintenant