D'iris et d'acier

Otage

Aucune des itérations précédentes ne s'était achevée avant que Leuthar passe aux choses sérieuses et le groupe, pendant les préparatifs, avait tiré une maigre satisfaction de ce constat ; dérisoire trait d'orgueil balayé net lorsqu'ils y furent confrontés. Le puissant sorcier, pourtant sévèrement meurtri, se redressa, tout à fait indemne. La seconde suivante sa magie vrilla l'air avec tant de force que tous furent projetés au sol, soumis à une telle pression que même respirer leur coûtait. Parvin, qui n'avait pas eu le temps de se replier, s'écrasa à terre dans un cri de douleur.

Seule Ditte parvint à rester debout, mais elle ne pouvait guère esquisser plus que quelques gestes. Leuthar invoqua son déluge de pierres, dispersant les combattants. Il les isola les uns des autres dans un chaos lithique qui détruisit tout le mobilier de la pièce. Enfin, d'un mouvement empreint d'une fureur froide, il se tourna vers Mordret. Le vampire peinait à reprendre son souffle et même ses capacités de guérison hors normes n'avaient pas suffi à lui rendre l'usage de ses jambes. Le sorcier lui flanqua un coup de pied dans les reins, puis se baissa pour le saisir par le col de sa chemise. Il l'aurait tué si Ditte n'avait pas surgi au-dessus des murailles de granit. Elle atterrit dans son dos et il fit immédiatement volte-face. Ils échangèrent quelques passes, puis, brusquement, la vieille enchanteresse se fondit dans la roche et la traversa sans mal. Leuthar abandonna Mordret pour se lancer à sa poursuite.

Le bar derrière lequel s'abritait Naola disposait d'un piètement en marbre et d'un socle en béton qui résistait fort bien à la marée de pierres. La jeune femme s'était assise à même le sol et gardait les yeux clos. Concentrée sur les perceptions de Tourab, elle ne sentait plus son propre corps et n'avait plaqué ses mains contre ses oreilles pour atténuer le vacarme que par pur réflexe.

Alix et Dan étaient parvenus à rester ensemble et déblayaient la prison minérale qui s'était refermée sur eux à grands coups de sortilèges. Louve, par un improbable miracle, s'était retrouvée projetée au-dessus du malstrom et avait réussi à s'arrimer à une poutre d'acier d'où elle dominait le champ de bataille. Parvin gisait inconscient sous un sortilège-bouclier dressé à la hâte par Ditte.

Avec une angoisse sourde, Naola dirigea le fil de son attention vers Mordret au moment même où il se laissa tomber derrière le bar. Il s'effondra plus qu'il ne se réceptionna et roula sur le dos, la respiration rauque. Une plaie profonde descendait sur son torse et suintait un liquide argenté qui empêchait toute guérison de s'amorcer. Le vampire se vidait de son sang.

À l'extérieur d'elle-même, Naola ne put que constater avec effroi l'indifférence complète que son propre corps manifesta à la situation. Les bras passés autour de ses jambes, le menton posé sur ses genoux, elle n'accorda pas un regard à son ancien patron agonisant.

Reste concentrée, Mäuschen. Ce n'est pas la première fois que tu le vois dans cet état, réprimanda Ditte avec une certaine douceur.

Le calme infini de la vieille femme émerveilla Naola. Elle la savait en plein affrontement avec Leuthar, et en mauvaise posture, pourtant elle trouvait les ressources pour la contacter et s'adresser à elle avec la bienveillance d'une grand-mère.

Vous y êtes arrivé, non ? La transformation est en cours. On a de bonnes chances. Je ne peux pas le laisser mourir, protesta la jeune sorcière.

J'ai besoin de toute ton attention, Mäuschen !

Non, tu as besoin de toute ton attention, pas de la mienne. Tiens bon, c'est de l'ordre de quelques minutes maintenant.

Leuthar l'avait acculée au fond d'un défilé semblable à deux hautes falaises de grès et, limitée dans ses mouvements, elle se démenait pour s'extraire du traquenard. Un mauvais maléfice l'avait atteinte à la jambe et rendait ses esquives hasardeuses. Une longue estafilade ajoutait une ride pourpre à son visage, là où un sortilège avait manqué de peu de l'égorger.