La promesse

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Adélaïde avait indiqué à son frère que le couple censé manger à leur table ne reviendrait probablement pas et Audric, comme souvent, s'était fié à son jugement. Il s'était donc lui aussi éclipsé pour saluer quelques connaissances et tenter de tirer parti de cette soirée bien mal commencée : Adélaïde et sa mission les avaient mis en retard. Elle avait perdu du temps à dissimuler la trace de la gifle sur sa joue et les bleus sur ses épaules que sa tenue laissait nues.

La jeune femme, désœuvrée, avait délaissé les amuse-bouche à peine servis et s'était dirigée vers la piste de danse où quelques couples s'exhibaient déjà. Pour rien au monde elle ne voulait être seule ce soir.

Très vite, elle se trouva un cavalier, puis un deuxième, des descendants des grandes familles sorcières, en lignée plus ou moins directe. Les sorciers et sorcières de son âge avaient pour ainsi dire tous grandi ensemble, des premières fêtes, organisées dès l'enfance par leurs parents, aux mariages des uns et des autres : le sérail de l'aristocratie était étroit. Esther Cromwell, plus jeune, en avait appris la topologie par cœur.

Son père avait intrigué pour que l'embarrassante nouvelle de ses fiançailles avec le petit chefaillon de campagne ne parvienne pas jusqu'à la capitale et la Esther était, comme souvent, poliment convoitée par ses partenaires successifs. Épouser une Cromwell s'avérait rarement une mauvaise affaire.

Un mouvement, dans la salle, attira l'attention des danseurs : plusieurs personnalités importantes de la table d'honneur, tous militaires et gradés, s'étaient levées en même temps et se dirigeaient vers la sortie. Un instant, l'assistance chercha comment réagir, mais Zerflighen, l'air affable, rejoignit la piste et la soirée poursuivit son cours. Adélaïde, le nez dissimulé par l'épaule de son cavalier, esquissa un sourire. Ça commençait.

« M'accorderiez-vous cette danse, madame ? »

L'interpellée marqua un net temps d'arrêt, dévisageant avec surprise ce nouveau cavalier, soudain apparu dans son champ de vision. Elle se reprit rapidement et lui adressa un sourire charmant, saisissant sa main tendue avec grâce.

« Monsieur Muspell, c'est bien cela ? Nous pensions que vous aviez quitté la soirée.

— J'attendais le bon moment pour venir vous présenter nos excuses »

Il l'entraîna et imposa un rythme soutenu à leur duo. Adélaïde, derrière son masque avenant, se méfiait ; à raison puisqu'à peine élancé, l'homme jeta un sortilège qui scintilla autour d'eux. De l'expression relativement aimable qu'il lui avait servie pour l'approcher, il ne restait que de la glace.

« Un charme de discrétion nous entoure », prévint-il, esquissant un pas qui la fit tourner autour de lui. Il la récupéra, une main sur sa taille, l'autre sur son épaule, trop sèchement pour que cela soit fluide.

« Quel genre de médecin s'abaisse à briser son serment en torturant une sorcière », demanda-t-il avec une violence contenue quand leurs regards se croisèrent.

La remarque, au moins, chassa tout malentendu quant aux intentions de son cavalier et l'aristocrate masqua son agacement derrière un sourire un brin moqueur. Qu'il sache relier Adélaïde à Esther Cromwell ne l'enchantait pas, mais qu'il ose le lui signaler ainsi, alors que la piste et ses occupants attiraient l'attention de tous, la préoccupait encore plus.

« Sans moi, répondit-elle, vous ne l'auriez jamais revue. Mais de rien. »

L'autre resserra sa prise, tenant plus étroitement sa taille, et se focalisa un instant sur la danse. Adélaïde n'avait pas besoin de mentalisme pour sentir sa tension et toute la rage qu'il retenait ; une rage dirigée contre elle, qu'il faisait virevolter autour de lui avec une maîtrise certaine. Elle se maudissait de lui avoir laissé l'opportunité de cette discussion.

D'iris et d'acierOù les histoires vivent. Découvrez maintenant