Interrogatoire

114 25 23
                                    

TW : violence, sang (résumé en fin de chapitre si besoin)

L'eau glacée perfora sa chair de centaines d'aiguilles acérées, les muscles tétanisés, les vêtements plaqués contre sa peau à vif, la gorge et le nez assaillis puis engloutis par les flots, les cris emportés par des gargouillis inaudibles... Naola crut mourir. De sa poigne organique, le mécamage lui pressa le visage contre le fond de la baignoire de longues secondes avant de la remonter en travers du rebord. Elle toussa, cracha et vomit, le corps secoué de convulsions, dans un gémissement de douleur. William, assis sur la faïence de la grande cuvette ébréchée, attendit avec patience qu'elle reprit un semblant de respiration rendue sifflante et saccadée par le froid et ses côtes malmenées.

« Alors ?

— C'est un ha..asard si le t-téléphone que j'avais sur m-moi est le m-même que le vô-tre », bégaya la prisonnière.

L'homme soupira et la repoussa sans violence, l'allongeant dans l'eau glacée. La jeune femme, le souffle coupé, parvint à maintenir sa tête émergée.

« On va faire une pause, profites-en pour réfléchir à si ces mécas valent vraiment la peine que tu te donnes. »

William disparut de son champ de vision. Naola mit un long moment avant de comprendre qu'il l'avait laissée seule. Elle avait terriblement froid, comme si l'eau s'était infiltrée jusqu'à la moelle de ses os, jusqu'au fond de son crâne. Ses mains, étroitement liées dans son dos par des menottes aux propriétés anti-magiques, semblaient pareilles à deux blocs congelés. Au moins ne ressentait-elle plus la douleur de ses membres brisés : privée de ses pouvoirs, elle accusait à retardement les dommages de sa chute vertigineuse. Sa jambe gauche et son bras droit ne répondaient plus. Elle grelottait si fort qu'elle peinait à respirer.

Combien de temps allait-il la laisser là ? Elle tâcha en vain de contrôler les spasmes qui contractaient sa cage thoracique contre ses côtes en miettes. À quelle température pouvait bien être cette eau ? Au-dessus de zéro, déjà, bien qu'il y flottât des petits morceaux de glace en surface. Sans doute en dessous de cinq, tenta-t-elle de compter dans un effort d'espéré pour tromper sa panique.

Les murs de la pièce, en parti effondrés, se terminaient, comme pour la cuisine par une voûte de givre qui lui revoyait en écho ses gémissements mêlés de clapotis. À l'opposé, la salle s'ouvrait sur le souvenir d'une porte dans l'obscurité. La glace descendait du plafond, formant d'imposantes colonnes parées de délicats drapés, dont les franges ciselées et scintillantes léchaient les bords de la baignoire et plongeaient sous la surface de l'eau. Sans doute plus proche de zéro que de cinq, l'eau.

Dehors le jour devait décliner, car la lumière qui filtrait à travers les parois translucides luisait de la teinte chaleureuse du soleil couchant. Quelle ambiance improbable pour mourir d'hypothermie, songea Naola qui sentait une fatigue poisseuse l'engourdir.

William, soudain au-dessus d'elle, la saisit par le col et la projeta sur le carrelage explosé de l'ancienne salle de bain. Elle cria faiblement, surprise que son corps gelé puisse toujours lui faire aussi mal.

Le mécamage l'adossa au rebord de la baignoire et s'accroupit à son niveau. Elle garda la tête baissée, épuisée. Une méchante brise fraiche soufflait sur elle, faisant chuter plus encore sa température. Penser devenait pénible.

« Il va falloir répondre à mes questions, maintenant, madame Dagda...

— C'est un hasard si le smartphone que j'avais sur moi est le même que le vôtre, grelotta-t-elle d'une voix hachée.

— Non. Je suis là-dedans depuis suffisamment de temps, j'ai vu des antiquités. Si tu es vraiment la receleuse que tu prétends être, tu sais forcément la différence ».

D'iris et d'acierOù les histoires vivent. Découvrez maintenant