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Sur l'un des toits bordant le quartier général de l'Ordre à Stuttgart, Alix observait les Vestes Grises aller et venir sous le porche de l'imposant bâtiment. Quelques heures à peine s'étaient écoulées depuis le tour de force de Leuthar à Niémen, mais les conséquences de la catastrophe tardaient à frapper la Capitale.

Alix s'attendait à trouver l'Ordre en train de célébrer son écrasante victoire, pourtant, dans le flux clairsemé d'hommes et de femmes en contrebas, rien n'évoquait ne serait-ce que le début d'un événement exceptionnel. La matinée offrait toutes les apparences d'une affligeante banalité, signe que Leuthar souhaitait voir sa fable s'établir en vérité. Niémen devait n'avoir jamais existé.

S'efforçant de calmer sa respiration que la tension emballait, l'Once ferma les yeux, puis les rouvrit. Son souffle se condensait en vives volutes dans l'air frais. Là, à quelques dizaines de mètres, sous la coupole aux courbes d'acier couverte de verre qui coiffait la Cantine, Leuthar déjeunait. Alix le distinguait sans difficulté à travers les vitrages étincelants. Il était assis dans le petit salon de sa somptueuse salle de réception, il buvait un café, plusieurs mnémotiques entassés devant lui, sur une table basse.

À observer sa cible vivre comme si de rien n'était, une paralysie hébétée s'était emparée de l'Once qui, au pied du mur — ou au bord du gouffre —, dut se faire violence pour affermir sa volonté. Le temps pressait.

Sa forme féline s'élança sur les toits et, d'un bond prodigieux, arriva sans bruit à l'aplomb de la verrière, puis escalada le dôme jusqu'à s'arrêter au-dessus du leader de l'Ordre. Sa nuque découverte, penchée vers le document qu'il étudiait, parut comme une invitation. Alix dématérialisa une portion de vitre sous ses pattes et se lança dans le vide.

D'instinct ou grâce à un reflet, Leuthar sentit l'attaque s'abattre sur lui et l'esquiva. Griffes et crocs se refermèrent sur le cuir de son siège alors que l'homme, déjà rétabli sur ses deux jambes et prêt à combattre, repoussait son adversaire d'une puissante onde de choc.

En dépit de ses tentatives pour contrer le maléfice, Alix vola à travers la pièce et heurta le sol sans un cri, tout air chassé de ses poumons. Un instant, sa conscience papillonna au rythme laborieux de ses battements de cœur.

« C'était extrêmement présomptueux de votre part ! » s'exclama Leuthar avec une surprise non feinte, en marchant sans hâte dans sa direction.

Le choc avait rompu sa métamorphose et sa silhouette, entièrement dissimulée sous une cape sombre, lutta pour se redresser. Leuthar se pencha pour saisir sa capuche, dernier rempart à l'identité de l'Once, mais il n'acheva pas son geste.

Dan sembla se matérialiser de nulle part juste au-dessus d'Alix et attrapa la main du sorcier afin de l'immobiliser. L'officier fédéral avait revêtu sa veste de fonction, mais en avait retiré tous ses galons et toutes ses distinctions.

Leuthar émit une exclamation de surprise, muée en un cri douloureux lorsque la fine lame d'une rapière glissa sur le côté de sa nuque et laissa une entaille cuisante le long de son cou.

Comprenant son erreur, il se libéra d'un geste vif et battit en retraite. Pas assez vite, cependant, pour éviter la chaîne acérée de la tronçonneuse qu'arborait Louve en lieu et place de son bras gauche. L'arme infernale lui érafla la hanche, imbibant immédiatement le bas de sa veste déchirée d'une teinte rouge qui rasséréna les combattants.

Alix se releva sans mal et frappa dans ses mains, relâchant une sphère mordorée. Le sortilège enfla, passant de la taille d'une balle à celui d'un homme en une seconde. Il engloba la salle tout en continuant de croître. Toutes autres âmes que les leurs seraient transférées dans les rues adjacentes, chassées de la zone d'affrontement dès l'instant où la barrière les toucherait. Le maléfice complexe lui arracha un hoquet de stupeur et força l'Once à mettre un genou à terre tant il s'avéra vorace et instable.

D'iris et d'acierOù les histoires vivent. Découvrez maintenant