KEI
« Qui a raté ses adieux ne peut attendre grand-chose de ses retrouvailles »
- Milan KUNDERA
Putain de merde Elio, c'est ça que tu appelles « ne pas changer du tout » ? jura Kei dans sa tête.
Il avait l'impression de s'être pris une décharge électrique dans tout le corps. Face à lui, un jeune homme d'à peine un mètre soixante-quinze le fixait avec une surprise non dissimulée. Il portait une veste en jean taguée bien trop large pour lui, abimée au niveau des manches et le col éliminé. La capuche de son sweat noir était rabaissée sur son front et ses cheveux bruns ondulés, plus clairs que ceux de son frère et presque blonds aux extrémités, retombaient nonchalamment au dessus de ses yeux.
Ses yeux.
Kei se rappelait maintenant. Le gamin avait eu un accident autour de ses sept ou huit ans. Il avait accompagné Mario sur un chantier et s'était pris un bout de métal brûlant dans l'œil. L'accident lui avait fait perdre l'usage de celui-ci et avait inscrit sur son visage la marque de l'impact. Depuis, trois cicatrices barraient le côté gauche de son visage : une au-dessus de son arcade sourcilière, une autre traversant sa paupière et la dernière s'étirant du coin de l'œil à la tempe.
A vrai dire, Kei n'avait jamais vraiment fait attention à ces cicatrices ; Nathaël avait porté un patch ophtalmique quasiment constamment les années d'après, et il ne s'était jamais demandé à quel point le garçon avait dû souffrir. Mais surtout - peut-être plus impressionnant encore que ses cicatrices, ou du moins plus perturbant -, la couleur de son œil gauche avait changé après l'accident pour virer à un bleu très pâle qui trahissait son absence de vision. Au contraire, l'œil droit était resté d'un bleu saphir intense et le contraste entre les deux créait une sensation dérangeante chez quiconque plongeait son regard dans le sien.
Il ne possédait pas le charme méditerranéen des autres hommes de sa famille : ses traits étaient plus fins, ses sourcils moins épais, ses lèvres pulpeuses possédaient un arc de cupidon prononcé et sa peau délicatement hâlée, moins foncée, tirait plutôt vers le miel. Il ressemblait beaucoup à sa mère.
Peut-être était-ce la ligne provocatrice de sa mâchoire, la lueur effrontée dans son regard ou l'air glacial qu'il afficha une fois la surprise passée, mais Kei eut irrémédiablement envie d'abîmer ce visage, de le voir se tordre sous le plaisir qu'il lui procurerait, d'entendre les gémissements qu'il pousserait si son corps se fondait dans le sien.
Putain mais tu t'entends ? Tu parles d'un gamin qui pourrait être ton élève ! se réprimanda-t-il avec horreur.
Lorsque Nathaël retira sa capuche, Kei aperçut brièvement deux anneaux à son oreille gauche avant que le jeune homme ne baisse la tête et sorte de la pièce. Aucun bonjour. Aucun sourire.
— Je te l'avais dit, soupira Elio. Il n'a pas changé.
Oh que si, riposta Kei.
Son ami se tourna pour ouvrir la bouteille de champagne et Kei en profita pour se pincer entre les sourcils histoire de calmer ses idées honteuses. Il fallait qu'il respire, il n'avait plus douze ans !
Quand il prit place autour de la table soigneusement dressée par Yamini, Alice s'empressa de le bombarder de questions. Qu'avait-il fait en onze ans ? Comment était la vie dans la capitale ? Depuis combien de temps était-il professeur ?
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Eros avait les yeux vairons
RomanceLorsque Kei Néroni revient dans sa ville natale, onze ans après en être parti, des figures du passé ressurgissent sur son chemin. L'une d'entre elles a les yeux vairons, un visage tuméfié et une veste en jean délavée. Mais surtout, le premier regar...