22. Marcher à l'ombre

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NATHAËL


« Solitude : douce absence de regards »

Milan Kundera


Le vieux hangar était abandonné depuis le début de la Seconde Guerre mondiale. Il avait tour à tour servi de grange, d'atelier textile, de stockage d'engins agricoles, avant d'être délaissé et de tomber lentement en ruine.

La bande de Ciel y avait installé ses quartiers quatre ans auparavant, lorsque le trafic de drogue avait commencé à prendre de l'ampleur et que ce qui était un regroupement de copains avides de sensations fortes s'était transformé en véritable petite organisation avec des règles et des objectifs à tenir. Toute la bande avait mis la main à la pâte pour faire de cet entrepôt délabré un espace vivable capable d'héberger réunions et membres esseulés.

Nathaël se rappelait que Tom et lui avaient participé aux derniers travaux de rénovation, et il pouvait encore sentir son cœur tambouriner dans ses tympans tandis qu'il aidait à réparer le toit avec pour seule sécurité son frère qui trouvait amusant de glisser sur les ardoises polies. Ce jour-là, il avait bien cru qu'on retrouverait son corps écrasé trois mètres plus bas.

Mais désormais, le hangar était réhabilité, et si de l'extérieur rien ne laissait penser qu'une vingtaine d'hommes s'en servait comme repère, l'intérieur était devenu un refuge agréable pour la plupart d'entre eux.

Nathaël et Tom y avaient passé de nombreuses nuits, blottis sur des matelas de fortune et engoncés dans de vieux duvets poussiéreux, avant de trouver leur propre squat et de s'éloigner de l'ambiance rapidement pesante qui régnait dans le hangar.

En particulier depuis deux mois, pénétrer dans cet endroit donnait des sueurs froides aux deux frères. Bien que Tom n'en laisse rien paraître et dissimule sa peur derrière son attitude agressive, Nathaël se doutait que quelque chose dans son regard, dans le haussement imperceptible de ses épaules ou dans sa posture trop raide devait le trahir.

Lorsqu'ils garèrent leurs motos à l'arrière du bâtiment, le soleil se couchait à l'horizon et colorait les versants montagneux d'un camaïeu rose orangé. Les silhouettes des pics se détachaient du décor comme des ombres chinoises et Nathaël pria intérieurement pour avoir la même solennité lorsqu'il affronterait Ciel.

Tom retira son casque puis lui lança un regard interrogateur auquel il répondit en hochant doucement la tête. Il était prêt.

Ils firent à nouveau le tour du hangar et adressèrent un bref signe de tête aux deux hommes assis à l'entrée. Ils ne travaillaient pour l'organisation que depuis un petit mois et les deux frères n'avaient jamais eu l'occasion ni l'envie de faire leur connaissance.

L'intérieur du bâtiment sentait un mélange de nourriture réchauffée, d'essence et de tabac froid. Assis en ronde au fond de la pièce, les dirigeants de l'organisation parlaient entre eux à voix basse, allumant de nouvelles cigarettes dès que celles entre leurs lèvres mouraient.

En apercevant les deux frères, les conversations se turent et les regards se posèrent sur eux. Comme toujours depuis qu'ils étaient gamins, Tom se plaça légèrement devant Nathaël, dans une attitude protectrice pas forcément justifiée, mais toujours appréciée par le concerné. Il ne serait jamais seul à affronter un danger, il y aurait toujours la barrière défensive des yeux sombres et du visage agressif pour amortir les dégâts. Et il avait besoin de ça pour renforcer sa confiance en soi.

Eros avait les yeux vaironsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant