18. Rentrons

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KEI


« On a beau tout rêver, tu dépasses le rêve. Ton œil promet l'amour, ton cœur donne le ciel. »

- Victor Hugo


La vue depuis l'auberge des neuf lacs était incroyable. Perché à presque deux mille mètres d'altitude, le petit édifice en bois surplombait toute la vallée et offrait une vue spectaculaire sur les pics environnants.

Assis contre la rambarde de la terrasse, Kei ne se lassait pas du paysage, et même le vent frigorifiant qui se levait ne l'aurait pas décidé à se réfugier à l'intérieur. Depuis deux heures, son regard vagabondait le long des versants herbeux, s'accrochait aux torrents qui dévalaient les parois rocheuses, s'attardait sur les sommets enneigés au-dessus desquels planaient quelques rapaces. Il se sentait tellement apaisé qu'il aurait pu rester ici toute sa vie.

Entre ses doigts, la tasse de café brûlante émettait une légère fumée qui venait réchauffer son nez rougi par le froid et embuer ses lunettes de soleil. De nombreux touristes et excursionnistes s'étaient attablés autour de lui, chacun profitant de la vue majestueuse offerte par la terrasse et commentant les randonnées qu'ils venaient d'effectuer.

Qu'est-ce que ça m'avait manqué, songea-t-il avec émotion.

Sur les tables en bois, des verres de bière vides, des tasses de café refroidi et des crêpes toutes chaudes s'entassaient dans ce mélange d'odeurs si particulier aux auberges de montagne. Mais surtout, serpentant entre les visiteurs repus et les parasols déployés, Nathaël s'activait avec une agilité impressionnantes compte tenu de la foule et du matériel désordonné qu'étalait cette dernière sur le sol.

Le jeune homme ne portait qu'un t-shirt noir à manches courtes au nom de l'auberge, rentré dans un pantalon cargo de la même couleur. Un bandana noir et blanc était noué autour de son front pour empêcher ses mèches rebelles de tomber sur ses yeux et les deux anneaux argentés à son oreille gauche miroitaient sous le soleil de l'après-midi. A chaque fois qu'il débarquait sur la terrasse pour prendre des commandes, débarrasser ou déplacer des tables, son regard glissait furtivement sur Kei et à chaque fois, le concerné ne pouvait s'empêcher de sourire bêtement en sachant que c'était sa façon de vérifier que tout allait bien, qu'il ne manquait de rien.

Depuis son arrivée deux heures auparavant, le jeune homme lui avait déjà offert deux tasses de café ainsi qu'une crêpe à la confiture. Et quand il avait refusé le billet que lui avait tendu Kei, ce dernier l'avait discrètement glissé dans sa poche en précisant que c'était « en hommage aux fesses du serveur », ce qui avait fait violemment rougir Nathaël avant qu'il ne se reprenne et lui assène un violent coup de torchon mouillé sur l'épaule.

Kei était heureux. Heureux comme il ne l'avait pas été depuis des années. Quatre jours auparavant, Nathaël et lui avaient échangé un baiser langoureux sur le canapé et depuis, une barrière avait été abattue entre eux. Désormais, à chaque fois qu'ils se croisaient à la maison, leurs mains se frôlaient, leurs lèvres se rencontraient, leur désir grandissait.

Kei essayait de ne pas être trop gourmand, de ne pas se laisser envahir par ses pulsions, mais rien qu'aujourd'hui, à voir Nathaël s'activer autour de lui, ses muscles saillant sous sa peau caramel et ses fesses se dandinant dans son pantalon, il aurait payé cher pour le tirer par le bras, le plaquer contre un mur de l'auberge et le dévorer sans modération. Rien que d'y penser, son bas-ventre brûlait de désir et ce constat le fit ricaner d'aberration. Un peu plus et il allait finir par agoniser sous l'attente.

Eros avait les yeux vaironsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant