KEI
« Si stupide que soit son existence, l'homme s'y rattache toujours »
- RIMBAUD
Le lendemain matin, Kei se leva à quatorze heures. Et d'accord, ce n'était pas strictement le matin, mais bordel, il ne pouvait pas faire mieux.
A peine posa-t-il les pieds sur la moquette de sa chambre qu'un affreux mal de tête lui rappela les quantités inimaginables d'alcool ingurgitées la veille. Et il avait cours dans à peine une heure. Génial.
Mais le pire l'attendait en bas, dans la cuisine. Le pire, c'était ces cheveux d'un noir de jais, coiffés en un carré parfait au-dessus des épaules. Le pire, c'était ces deux yeux sombres dans lesquels jamais n'avait brillé d'étincelle joyeuse. Le pire, c'était cette silhouette fluette, installée fièrement dans le fauteuil à bascule, les jambes croisées dans une attitude faussement tranquille.
Kei grimaça à cette vision et contracta imperceptiblement les muscles de son dos.
— Tu as vu l'heure ?
Le visage sévère de sa mère se tourna vers lui.
— Désolé, on est sorti avec les gars hier soir, éluda-t-il en serrant les dents.
— Oui, je suppose que c'est ce que tu avais de mieux à faire, persifla sa génitrice.
— Écoute maman, je suis fatigué. C'était juste histoire de décompresser un peu.
— Juste avant tes partiels ?
— Tu sais que je les réussirai.
— Je me fiche que tu les réussisses en étant dernier, cingla son interlocutrice en le toisant de son regard méprisant. Je ne me suis pas autant investie dans tes études pour que tu les négliges ainsi.
— Je ne néglige rien, soupira Kei. Je sors juste un peu. J'en ai besoin. Je me sens un peu... surmené ces derniers temps.
— Surmené ?
Les yeux de sa mère se firent mauvais.
— Avec le peu de travail que tu fournis ? Ne sois pas pitoyable comme ça.
— Il n'y a pas que le travail, maman. Ce que j'essaie de dire c'est que...
— Si tu veux gâcher ta vie, ne le fais pas sous mon toit, Kei, le coupa la femme d'une voix sèche. Donne moi une bonne raison de croire que je ne t'ai pas mis au monde pour rien.
Ces mots glacèrent le sang du concerné. Pétrifié, il observa sa mère lui lancer un dernier regard dégoûté avant d'épousseter son tailleur et de se lever.
— Il te reste des légumes dans le frigo si tu as faim. J'ai jeté l'ignoble plat que tu avais fait ; il ne manquerait plus que tu prennes du poids.
Kei baissa les yeux et ne répondit pas. Son cœur se serra douloureusement. Et il ne pouvait même pas prétendre être surpris. Il aurait aimé lui dire pourtant, lui dire qu'il ne lui en voulait pas, qu'il oublierait toutes ses paroles méprisantes si seulement elle lui concédait un sourire, lui dire qu'il s'était appliqué à faire ce plat pour elle, pour qu'elle n'ait pas faim en rentrant du travail, lui dire qu'il l'aimait malgré tout, qu'il aurait tout donné pour qu'elle le prenne dans ses bras, au moins une fois, juste une fois.
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Eros avait les yeux vairons
RomanceLorsque Kei Néroni revient dans sa ville natale, onze ans après en être parti, des figures du passé ressurgissent sur son chemin. L'une d'entre elles a les yeux vairons, un visage tuméfié et une veste en jean délavée. Mais surtout, le premier regar...