KEI
« Le plus clair de mon temps, je le passe à l'obscurcir, parce que la lumière me gêne »
– Boris Vian
Lorsque Kei avala d'une traite son quatrième verre de la soirée, les néons du club commencèrent à se faire agressifs. Face à lui, le barman agitait un shaker tout en écoutant les commandes qui fusaient dans tous les sens. Kei posa son menton dans ses mains et l'observa avec lassitude. L'homme ressemblait un peu à Nathaël, avec ses cheveux décoiffés et la ligne provocatrice de sa mâchoire.
Nathaël... Il ne l'avait pas recroisé depuis l'incident à la fac. Il aurait pourtant aimé s'excuser de son comportement peut-être trop intrusif, expliquer que ce dernier n'avait été permis que parce qu'il s'était inquiété pour lui. Mais surtout, il aurait voulu lui demander le sens de sa dernière phrase. Plus jamais il ne ferait l'erreur de quoi ? Lui faire confiance ? Mais quand cela avait-il déjà été le cas ? Quand avait-il brisé cette confiance ?
Kei avait beau tourner et retourner cette question dans sa tête, il ne parvenait à trouver aucune réponse satisfaisante. Certes, il se rappelait de ce gamin réservé qui le suivait partout, mais c'était simplement de la curiosité d'enfant non ? Ils ne s'étaient jamais réellement parlés ; l'autre était bien trop jeune et Kei ne faisait pas réellement attention à lui, peut-être même avait-il parfois été rude. Mais de là à trahir sa confiance ?
— Tu devrais sourire, beau gosse, ça ne sert à rien de froncer autant les sourcils, ils ne fusionneront pas.
Kei sursauta et retrouva ses esprits. Devant lui, le barman était accoudé sur le comptoir, un sourire au coin des lèvres.
— Tu ferais mieux de regarder autour de toi au lieu de me fixer avec cet air blasé, reprit l'homme en s'esclaffant. Non pas qu'attirer ton attention me dérange, mais il y a au moins une vingtaine de mecs qui te fixe depuis tout à l'heure.
Kei se frotta énergiquement le visage et soupira longuement avant d'adresser un petit sourire d'excuse à son interlocuteur.
— Désolé, j'étais ailleurs.
— J'ai vu ça oui. Peine de cœur ?
— Même pas...
— Alors souris un peu et amuse-toi. Tu es venu ici pour ça, non ?
Kei ne répondit pas et tourna la tête pour observer la piste de danse. En effet, il était venu pour cela. Après plusieurs jours à faire des allers-retours entre la fac et la maison des Velasco, il avait voulu sortir un peu. Sortir de cette ambiance de travail, cesser de se prendre la tête pour des futilités, faire de nouvelles rencontres.
Fais pas genre, tu voulais surtout baiser un coup, railla-t-il face à son hypocrisie.
Baiser un coup oui, si cela pouvait lui changer les idées, il était partant.
A la fin de son dernier cours, il s'était soudainement dit que sortir dans un bar lui ferait du bien. Seulement, Espira avait beau avoir évolué en onze ans, aucune boîte gay n'y avait été créée et il avait dû se rendre dans la ville voisine pour enfin trouver ce qu'il cherchait. Il avait longuement hésité à s'y rendre ; comment réagirait-il s'il croisait un collègue ? Ou pire, un étudiant ? Puis il avait chassé cette inquiétude. Il avait mis des années à assumer qui il était vraiment, si cela venait à se savoir, il saurait gérer la situation.
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Eros avait les yeux vairons
RomanceLorsque Kei Néroni revient dans sa ville natale, onze ans après en être parti, des figures du passé ressurgissent sur son chemin. L'une d'entre elles a les yeux vairons, un visage tuméfié et une veste en jean délavée. Mais surtout, le premier regar...