KEI
« L'absence aiguise l'amour, la présence le renforce »
- Thomas Fuller
— Je vais te faire un café.
A ces simples mots, les yeux de Nathaël s'écarquillèrent tellement de surprise que Kei se retint de ricaner. Ce n'était sûrement pas le moment de le taquiner.
Il observa longuement le jeune homme. Ses cheveux bruns étaient collés à son front par la sueur, ses pupilles étaient encore excessivement dilatées et sa lèvre inférieure tremblait légèrement. Ses poings jusqu'alors serrés à s'en faire blanchir les phalanges se détendirent et ses doigts s'échouèrent sur le carrelage froid. Il semblait épuisé. Que lui était-il arrivé ? Qu'avait-il bien pu se passer pour qu'il se mette dans cet état-là ?
Kei avait envie de le serrer dans ses bras. De toutes ses forces. De lui dire qu'il ne le lâcherait pas. Parce qu'en dépit de son air sauvage et de ses phalanges bandées, Nathaël semblait vulnérable, plus vulnérable qu'il ne l'aurait jamais cru. Et il ne supportait pas cela. Il voulait l'aider, effacer l'angoisse qui tirait ses traits et opacifiait ses yeux.
Mais il ne pouvait pas lui dire tout cela, il ne pouvait pas lui poser de questions. La seule chose qu'il pouvait faire pour le moment était d'essayer de le rassurer et de lui changer les idées.
— Tu devrais aller prendre une douche pendant que je prépare le café, conseilla-t-il en se relevant. Ça te fera du bien.
Nathaël lança un regard hésitant vers l'escalier, comme si la simple idée d'aller à l'étage lui semblait insurmontable. Avait-il si peur que ça ?
— Tu as besoin que je te tienne la main pour monter ? plaisanta Kei en souriant en coin.
Il réalisa soudainement ce qu'il venait de dire et se figea. Et si Nathaël ne comprenait pas que c'était une blague et prenait cela comme un sous-entendu ? Et s'il pensait qu'il lui faisait des avances ? Ils n'avaient pas parlé de cette soirée où ils s'étaient croisés, il n'avait aucune idée de ce qu'avait pensé le jeune homme ni de ce qu'il pensait désormais de lui. Voulait-il simplement faire comme si rien ne s'était passé ? Était-il dégoûté par lui ? Cela l'indifférait-il ?
Mais Nathaël se contenta de froncer les sourcils et de se relever en grognant.
— C'est bon, j'y vais, marmonna-t-il d'un ton bourru.
Kei ne fit aucune remarque sur sa démarche tremblotante lorsqu'il passa devant lui. Il savait que le jeune homme essayait de sauver la face et préféra donc ne pas intervenir. A la place, il se dirigea vers la cuisine et prépara un café à l'italienne.
Il ne pouvait pas croire que le premier réel échange qu'il avait avec Nathaël avait commencé comme ça. Qu'il avait fallu qu'un événement traumatisant se produise pour que ce dernier cesse de le fuir. Devait-il en être heureux ?
Le bruit de l'eau portée à ébullition le ramena à la réalité et il retira la cafetière du feu. Il voulait simplement que Nathaël aille mieux.
Il s'avança dans le salon et se rassit sur le canapé. Quand son corps s'enfonça dans le cuir moelleux, il soupira d'aise et se rendit compte d'à quel point il était tendu. Il ferma les yeux et se pinça entre les sourcils. Tout allait bien se passer.
Le craquement caractéristique des marches en bois retentit derrière lui et Nathaël apparut dans l'encadrure de la porte. Il portait un sweat à capuche bleu pastel et un bas de survêtement noir qui moulait agréablement ses jambes. Une serviette blanche était posée négligemment sur ses cheveux mouillés et Kei se retint de sourire devant cette vision attendrissante. Il ressemblait à un enfant qui n'osait pas demander de l'aide. Il voyait bien que Nathaël hésitait à s'avancer, comme s'il était encore tiraillé entre son envie de présence humaine et son réflexe de fuite. Sans un mot, Kei attrapa le livre qu'il étudiait avant que le garçon ne rentre et se remit à le feuilleter.

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Eros avait les yeux vairons
RomanceLorsque Kei Néroni revient dans sa ville natale, onze ans après en être parti, des figures du passé ressurgissent sur son chemin. L'une d'entre elles a les yeux vairons, un visage tuméfié et une veste en jean délavée. Mais surtout, le premier regar...