KEI
« Être courageux dans l'isolement, sans témoins, sans l'assentiment des autres, face à soi-même, cela requiert une grande fierté et beaucoup de force. »
– Milan KUNDERA
— Et je l'ai recroisé il y a deux ou trois ans, complètement par hasard, et il se rappelait parfaitement de moi ! T'aurais vu ses yeux, mon Dieu, je peux te dire qu'il avait encore de la rancœur. Tu te rappelles de l'humiliation qu'on leur avait fait subir à lui et son équipe ? Faut croire que huit ans après, il l'avait encore en travers de la gorge.
Kei sourit par-dessus son verre de bière et s'amusa de voir Elio si emballé par les histoires du passé. Cela faisait plusieurs jours que son ami cherchait à le croiser par tous les moyens, mais il avait été si occupé par ses cours et ses recherches qu'il n'avait pu répondre favorablement à son invitation que ce soir. Et voilà qu'il écoutait depuis déjà une heure et demie des anecdotes sur approximativement chaque personne qui avait un jour ou l'autre croisé leur route au collège ou au lycée. Elio semblait être au courant de tout et Kei soupçonnait Alice de l'avoir converti au commérage. Au fond, cela ne le dérangeait pas vraiment ; il était réellement épuisé par son travail et aussi stupides fussent-elles, les histoires d'Elio le divertissaient. Finalement, lui aussi devait posséder une forme de curiosité mal placée.
— Enfin bon, vu qu'il a vu que j'avais un gosse, il n'a rien dit, continua Elio, inlassable. Putain, à propos de ça... Tu veux pas me le garder quelques jours ?
— Crève, grimaça Kei.
— Rooh franchement mec ! En souvenir des anciens jours !
— Fallait réfléchir avant de créer un démon qui te ressemble.
— Toujours aussi peu la fibre paternelle, hein ?
— Si, indéniablement, ironisa le concerné.
— Je te jure, soupira son ami, avoir ma petite famille est la chose la plus incroyable qui me soit arrivé, mais parfois, je regrette l'époque où j'avais encore du temps pour moi et pouvais sortir voir mes potes quand je voulais. Qu'est-ce que je donnerais pas pour juste kiffer du temps avec un poto, à parler de tout et n'importe quoi, sans entendre des cris et des pleurs toutes les deux heures... Les gays ont de la chance en fait.
Kei manqua de s'étrangler avec sa bière et écarquilla les yeux sous la surprise. Face à lui, Elio regardait dans le vide d'un air mélancolique. Bien qu'il sache parfaitement que son ami ne pensait pas réellement ce qu'il disait, Kei ne put s'empêcher de sauter sur l'occasion pour approfondir le sujet.
— Tu sais qu'ils peuvent avoir des enfants désormais, avança-t-il prudemment.
— Ouais, ouais, mais quand même, répondit Elio en balayant sa remarque d'un geste de la main. Imagine, t'es juste tranquille entre mecs, sans aucune nana qui vient te faire la morale parce que t'as posé tes pieds sur la table basse et que non, le bac à légumes du frigo n'est pas un bac à bières.
Ah mon pote, t'as beau tenir un discours caricatural, t'imagines pas à quel point tu as raison, s'amusa Kei intérieurement.
— Arrête, je vais finir par croire que tu remets ta sexualité en doute, lança-t-il à la place.
— Argh mec, quand même ! s'indigna Elio en fronçant le nez. T'as vu la beauté de ma femme ? Après je comprendrais que, vu que je te l'ai volée, tu sois assez désespéré pour aller voir de l'autre côté de la barrière.
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Eros avait les yeux vairons
RomanceLorsque Kei Néroni revient dans sa ville natale, onze ans après en être parti, des figures du passé ressurgissent sur son chemin. L'une d'entre elles a les yeux vairons, un visage tuméfié et une veste en jean délavée. Mais surtout, le premier regar...