31. Seul

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KEI


« Ce qui n'est pas l'effet d'un choix ne peut être tenu ni pour un mérite ni pour un échec. »

Milan KUNDERA


Pour la troisième fois de la matinée, la sonnerie de son téléphone déchira le silence de la chambre et l'extirpa brutalement de son désagréable état comateux. Posant son avant-bras sur ses yeux pour les dissimuler de la lumière du soleil, Kei tâtonna le lit à la recherche de son portable et éteignit l'alarme d'un geste rageur.

Putain, y a pas moyen de rester tranquille aujourd'hui ! jura-t-il intérieurement.

Il soupira longuement et tenta d'ignorer le serrement douloureux de son estomac.

Je pense que je vais vomir, grimaça-t-il.

Ses paupières se soulevèrent difficilement et il resta immobile, allongé sur le dos, les yeux rivés au plafond. Son regard s'accrocha à la petite tâche en forme d'étoile juste au-dessus du lit et ne s'en détacha pas.

Ne pense à rien d'autre, s'intima-t-il, ne pense à rien d'autre.

Pourtant, malgré toute sa volonté et ses poings serrés, le nœud dans son ventre ne se résorbait pas, se rappelant parfois à lui de façon lancinante.

Il se sentait épuisé. Lessivé. Essoré. Ses yeux le piquaient de ne pas avoir assez dormi et il avait l'impression que son corps était si lourd qu'il aurait pu traverser le matelas pour s'enfoncer sous terre.

De sa main gauche, il attrapa à nouveau son portable et le déverrouilla d'un geste las. Sous le cadran qui affichait désormais 11:37, la même notification apparut.


De : Nel ♥

Repose-toi et essaie de ne pas trop te prendre la tête.

Je reviens vers 13h avec de quoi manger.

Je pense fort à toi.

(ce n'était PAS de ta faute)


Encore une heure et vingt-trois minutes à attendre.

Kei n'avait pas ouvert le message pour être sûr qu'il réapparaisse à chaque fois qu'il allumait son téléphone. Lorsque la chaleur de bras de Nathaël l'avait quitté ce matin, il s'était soudainement senti si désemparé qu'une vague d'angoisse l'avait submergé. Sans réaliser ce qu'il faisait, il s'était accroché presque désespérément à la taille du jeune homme pour l'empêcher de partir et ce dernier avait dû le prendre contre lui de longues minutes pour qu'il se calme.

Il s'était senti stupide. Pitoyablement et infiniment stupide.

Nathaël avait alors déposé une myriade de baisers sur son visage puis était parti travailler en lui promettant qu'il prendrait son après-midi pour lui. A vrai dire, cette scène n'aurait même pas dû avoir lieu si Kei avait pris les somnifères qu'il avait initialement prévus d'avaler la veille. Mais il ne l'avait pas fait. Pourquoi ? S'était-il senti coupable de vouloir fuir aussi lâchement la culpabilité méritée qui allait inévitablement l'envahir dès qu'il ouvrirait les yeux ?

Eros avait les yeux vaironsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant