Eros avait les yeux vairons

5. Je t'ai fait un dessin

NATHAËL

« Dans un cœur troublé par le souvenir, il n'y a pas de place pour l'espérance »

- Alfred DE MUSSET

Lorsque l'air frais de la nuit vint caresser son visage brûlant, Nathaël manqua de frissonner de plaisir. A califourchon sur sa moto flambant neuve, Tom l'attendait tranquillement, un casque sous le bras. Quand son ami se fut assez rapproché pour qu'il puisse voir son visage, il haussa un sourcil curieux en sa direction.

— Et bien ? Tes vieux t'ont menacé de mort ou quoi ?

— Ferme-la et démarre, ordonna Nathaël en serrant les dents.

Il attrapa le casque que lui tendait Tom et le vissa sur son crâne avant d'enrouler ses bras autour de la taille du conducteur.

Pitié, partons vite d'ici, supplia-t-il.

Il ne s'autorisa à prendre une grande inspiration que lorsque le vent commença à battre les pans de sa veste dans son dos et à s'infiltrer sous son sweat. Il avait cru s'évanouir. Vraiment, il aurait pu juste se laisser tomber au sol et fermer les yeux en priant pour que tout ceci ne soit qu'un mauvais rêve.

Kei. Kei Néroni. Kei. Kei. Kei.

Ce prénom ne cessait de tourner en boucle dans sa tête tandis que les souvenirs l'assaillaient de toute part. Pourquoi ? Pourquoi avait-il fallu qu'il revienne après tout ce temps ? Pourquoi, parmi tous les anciens camarades de son frère, avait-il fallu que ce soit lui ? Lui, l'homme qu'il avait passé son enfance à aimer et admirer.

Assis sur l'un des hauts tabourets qui encerclaient le comptoir de sa cuisine, Nathaël balançait ses petites jambes dans le vide. Ses doigts écorchés le tiraillaient lorsqu'il serrait le feutre dans sa main, mais il avait l'habitude de cette douleur. Silencieux, il s'appliquait à retracer les contours de son dessin quand, tout à coup, la porte d'entrée s'ouvrit en grand. Il sursauta et se raidit. Est-ce que c'était lui ?

La tignasse brune qui apparut dans son champ de vision et le coup qu'il reçut dans la nuque le rassurèrent.

— Alors le nullos, toujours à faire tes coloriages ?

Nathaël ignora son frère et replaça soigneusement le feutre noir dans sa boîte. Visiblement mécontent d'être ignoré, Elio attrapa soudainement la feuille et la secoua devant ses yeux.

— Non, rends-la moi ! cria le petit garçon en tendant la main.

— Qu'est-ce que c'est que ça ? Un espèce de dragon ?

— Non, c'est une gorgone, protesta Nathaël. Rends moi mon dessin !

— Mais il est super moche ton dessin, regarde ça !

Nathaël sauta du tabouret et se précipita vers son frère qui le narguait en approchant la feuille de lui avant de la retirer brusquement. Le garçon finit par réussir à en attraper un coin mais lorsqu'Elio tira de son côté pour le faire lâcher, la feuille se déchira en deux.

— Non !

Nathaël sentit les larmes lui monter aux yeux et il se mordit la lèvre pour ne pas pleurer. On lui avait interdit de le faire.