NATHAËL
" Le courage, c'est de comprendre sa propre vie "
- Jean Jaurès
Nathaël eut droit à trois jours d'accalmie. Passé ce délais, il reçut un coup de fil affolé de sa mère lui disant qu'une lettre du commissariat adressée à son nom était arrivée chez eux.
Il se rappelait très bien du moment où sa génitrice l'avait appelé. A la seconde où il vit son nom apparaître sur l'écran de son téléphone, il sut que c'était de mauvaise augure. Depuis son enfance, sa mère et lui avaient cet accord tacite stipulant que Yamini acceptait sa farouche indépendance tant qu'il gardait la tête sur les épaules et ne fuyait pas ses responsabilités. Ce compromis résultait de leur profonde solidarité et de l'entière confiance qu'ils avaient l'un envers l'autre ; au fond, ils leur avaient fallu se soutenir pour refaire leur place dans une famille où ils étaient devenus des étrangers. Il avait fallu se faire accepter, prouver son amour et faire profil bas pour ne plus jamais prendre le risque de faire imploser ce noyau familial instable. Alors, mère et fils s'étaient toujours protégés, quelles que soient les difficultés rencontrées par l'un ou par l'autre, et jamais le ton n'était monté entre eux.
Si beaucoup reprochèrent à Yamini son laxisme, les deux concernés savaient parfaitement que c'était le meilleur compromis auquel ils pouvaient parvenir. Au lieu de faire comme son mari qui s'époumonait sur l'adolescent fugueur et taciturne qu'était devenu Nathaël, elle avait fait le choix de ne juger aucun de ses actes tant qu'il lui prouvait qu'il se débrouillait et ne se mettait pas en danger. Dire qu'il avait failli à sa promesse ces dernières années serait un euphémisme...
C'est pour cela que lorsqu'il vit le nom de sa mère s'afficher sur son téléphone, il sut immédiatement qu'elle allait lui annoncer quelque chose de néfaste, quelque chose qui l'avait suffisamment inquiétée pour qu'elle brise cet accord implicite et l'appelle.
Il lui avait alors fallu trouver un mensonge crédible en quelques secondes. Il inventa une histoire d'accrochage entre deux automobilistes dont il avait été le témoin sur son lieu de travail et parvint presque à se convaincre lui-même de la véracité de son récit. Sa mère raccrocha, rassurée, et lui s'effondra, terrorisé.
Ce furent les bras de Kei qui l'empêchèrent de s'écrouler au sol. Alors qu'il se mettait à trembler de façon incontrôlable, le plus âgé le serra contre lui et le berça pendant une vingtaine de minute sans jamais dénouer leur étreinte.
— Ça va aller, mon amour, tu n'as rien fait de mal, le réconforta le plus âgé. Rien qui ne mérite une sanction grave. Ne te prends pas autant la tête, tu es peut-être vraiment convoqué en tant que témoin. Ton nom est peut-être apparu dans un témoignage, sans préciser pourquoi tu étais là... Tu n'as rien fait de grave, Nel, ne t'en fais pas...
Les mots doux permirent aux larmes de rester sous ses paupières, mais n'empêchèrent pas l'angoisse de lui retourner les entrailles. Nathaël savait que Kei essayait de se convaincre lui-même avec son discours, que lui aussi était terrifié à l'idée que cette histoire puisse mal se finir.
Au fond, tout cela était injuste. Il avait passé sa vie à souffrir et à se battre, et au moment où, enfin, une once de bonheur apparaissait dans sa vie, on souhaitait la lui retirer sans même qu'il n'ait pu la savourer pleinement ! C'était injuste... Nathaël était fatigué de devoir constamment lutter pour avancer dans la vie ; il était fort, mais pas invincible, et cette histoire risquait d'être la goutte d'eau qui ferait déborder le vase.
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Eros avait les yeux vairons
RomanceLorsque Kei Néroni revient dans sa ville natale, onze ans après en être parti, des figures du passé ressurgissent sur son chemin. L'une d'entre elles a les yeux vairons, un visage tuméfié et une veste en jean délavée. Mais surtout, le premier regar...