NATHAËL
" Comment savoir à quel moment la souffrance devient inutile ? Comment déterminer l'instant où ça ne vaut plus la peine de vivre ? "
- Milan Kundera
A sa naissance, Nathaël atterrit dans un monde qui ne voulait pas de lui. Fils d'une femme adultère ayant fui sa famille et d'un artiste fauché accro au LSD, sa place dans la société s'annonçait plus que précaire. Comme s'il l'avait deviné dès les premières minutes de sa vie, il fut un bébé calme, silencieux, aux sourires rares et au rire étouffé.
A ses deux ans, le père de Nathaël mourut, fauché par une rupture d'anévrisme alors qu'il était en train de réaliser ce qu'il proclamait être la toile de sa carrière, celle qui l'aurait propulsé vers le succès et aurait assuré confort et sécurité à sa famille. Quelques semaines plus tard, sa mère rentra chez son mari et Nathaël découvrit son frère. Les yeux noisettes jaugèrent les yeux bleus et, tandis que leurs parents se hurlaient dessus, Elio prit le bébé dans ses bras et se réfugia dans sa chambre. Sans un mot, il le berça de longues minutes et appris à découvrir ce petit être dont on lui avait caché l'existence.
A ses quatre ans, la mère de Nathaël lui révéla que le soir de sa naissance, il y avait tellement d'étoiles dans le ciel qu'on aurait dit que toutes les constellations s'étaient réunies pour le saluer. Après cette information, il passa son enfance à se demander pourquoi l'une d'entre elles n'avait pas décidé de veiller sur lui.
C'est à peu près vers cet âge-là qu'il commença à mettre des mots sur cet étrange sentiment de malaise qui l'habitait depuis toujours : celui qu'il appelait « papa » ne l'aimait pas. Il s'en rendit compte comme un bébé se rend compte de ses membres, quelque chose qui a toujours été là, mais dont il ne possédait pas les capacités cognitives suffisantes pour en prendre réellement conscience.
Il accueillit ce constat avec une sorte de calme indifférence ; ça avait toujours été comme ça alors ce devait être la norme, n'est-ce pas ? Son père ne l'aimait pas, soit. Il n'avait jamais connu rien d'autre donc ce n'était pas comme s'il lui manquait quelque chose.
A ses cinq ans, son père lui hurla qu'il n'était pas son père. Nathaël ne put faire semblant d'être surpris : cette information lui paraissait être la suite logique de toute la négligence dont faisait preuve à son égard son soi-disant géniteur.
Cependant, il sentit qu'il ne servait à rien de lui dire cela. Quelque chose dans les yeux emplis de dégoût et dans le visage déformé par la colère lui intimait que son « père » souhaitait que cette nouvelle le blesse. Alors, il avait baissé la tête pour la première fois.
C'est également à cet âge-là que Mario commença à lever la main sur lui. A partir de ce moment-là, il décida de ne plus utiliser le mot « père » pour le désigner. Jusqu'ici, la maltraitance dont avait preuve l'homme s'était résumée à oublier de le nourrir ou à l'abandonner dehors pendant des heures avant de revenir le chercher bien plus tard. Désormais, il n'était pas rare que sa grande poigne se referme sur ses cheveux pour venir ensuite écraser son visage contre le crépi du garage.
Alors, Nathaël devint l'enfant maladroit. Celui qui se blessait constamment. Celui dont on voyait les blessures, mais auquel on ne posait aucune question. Celui qui était invisible parce qu'on refusait de le voir.
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Eros avait les yeux vairons
RomanceLorsque Kei Néroni revient dans sa ville natale, onze ans après en être parti, des figures du passé ressurgissent sur son chemin. L'une d'entre elles a les yeux vairons, un visage tuméfié et une veste en jean délavée. Mais surtout, le premier regar...