24. Tu m'as manqué

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KEI


« Les hommes que les passions peuvent le plus émouvoir sont capables de goûter le plus de douceur en cette vie »

- René Descartes


Les premiers jours de novembre avaient été particulièrement rudes. A peine octobre avait-il tiré sa révérence que le vent s'était levé, glacial, cisaillant, le ciel s'était revêtu d'un épais manteau gris et les matins s'étaient enveloppés d'une couverture de givre qui faisait crisser les pas sur le sol.

Dans son salon, Kei avait allumé sa cheminée pour la première fois et avait redécouvert le plaisir de se blottir dans un fauteuil pour lire au coin du feu. Et des bouquins, il en avait lu ! Lorsque le froid s'était installé au début du mois, on avait proposé à Nathaël de remplacer pendant deux semaines le gardien d'un refuge de haute montagne qui s'était brisé le bras lors d'une sortie escalade. Le jeune homme avait d'abord hésité, puis rapidement accepté en voyant la paye qu'on lui proposait pour si peu de jours.

Kei avait été ravi pour lui, surtout lorsqu'il avait vu les yeux vairons briller d'excitation à l'idée de pouvoir vivre complètement immergé dans la montagne. Ravi, certes, mais également frustré de ne pas pouvoir profiter de lui durant ce laps de temps.

Il fallait dire que deux semaines avant qu'il parte, leur relation avait commencé à prendre un nouveau tournant. Au lieu de disparaître plusieurs soirs par semaine, Nathaël restait à ses côtés, essayant maladroitement de trouver sa place dans ce semblant de vie commune qui lui était complètement étranger. Parfois, ils cuisinaient ensemble, chacun critiquant la manière de faire de l'autre. Parfois, ils s'installaient devant un film, Kei s'amusant à poser sa tête sur les genoux du jeune homme pour observer son air gêné tandis qu'il plongeait ses doigts fins dans ses cheveux. Parfois aussi, ils ne voyaient pas la fin du film, leurs mains se perdant sous leurs vêtements tandis que leurs bouches laissaient des traces brûlantes sur leurs peaux.

Chaque soir, ils s'allongeaient dans le même lit et Kei enroulait l'un de ses bras autour de la taille de Nathaël pour le presser fort contre lui, trahissant ainsi sa peur persistante, et pourtant non formulée, de ne plus l'avoir à ses côtés au réveil.

Et cela arrivait régulièrement.

S'il y avait bien une chose que Kei avait réalisée en vivant avec Nathaël, c'était la récurrence et l'importance de ses insomnies. Il y avait quelque chose de touchant à voir le jeune homme se blottir chaque soir contre lui, faisant systématiquement acte de bonne volonté, comme s'il était certain que cette fois-ci serait la bonne, qu'il parviendrait à passer une nuit entière sans se réveiller.

Pourtant, quasiment chaque nuit, lorsque Kei entrouvrait les yeux, le corps encore alourdi de sommeil, et qu'il tâtait le matelas à la recherche de Nathaël, la place était toujours froide. Alors, à chaque fois, ses yeux s'ouvraient un peu plus, son cœur s'affolait, et parfois, lorsque ce dernier résonnait un peu trop dans ses oreilles, il se levait dans la froideur de la nuit pour descendre au salon. Ce n'était que lorsque ses yeux se posaient sur la tignasse emmêlée et les yeux creusés par la fatigue que la sourde angoisse disparaissait de son corps et qu'il se permettait de prendre enfin une grande inspiration.

Il lui était arrivé de rester de longues minutes juste là, assis près du canapé, à contempler le visage aux traits adoucis par le sommeil, les longs cils reposant sur les pommettes saillantes, le plaid à moitié enroulé autour des épaules et la tasse de café refroidi abandonnée sur la table basse. Systématiquement, il devait se faire force pour ne pas prendre le petit corps dans ses bras et le ramener dans la chaleur du lit.

Eros avait les yeux vaironsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant