37. J'ai peur

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KEI


" Il n'y a pas d'amour de vivre sans désespoir de vivre "

- Albert Camus


Kei s'extirpa douloureusement de sa voiture.

Il retira le mouchoir qu'il pressait jusqu'alors contre son arcade sourcilière et grimaça en le voyant encore imbibé de sang. C'était déjà le sixième qu'il utilisait.

Sa lèvre fendue le tiraillait et les coups reçus dans ses côtes le lançaient à chaque pas qu'il faisait. Il savait qu'il n'était pas blessé gravement ; il avait une certaine expérience dans ce genre de combats pour savoir quand il devait s'inquiéter. Là, il était juste bon pour une belle gueule de boxeur pendant quelques jours et de jolis hématomes sur le torse.

Au moment où il tourna la poignée de sa porte d'entrée, il se rendit compte que le soleil se levait à l'horizon. Sérieusement ? Combien de temps était-il resté dans ce foutu entrepôt ?

La chaleur de la maison lui soutira un agréable frisson et il sentit les muscles de ses épaules se détendre pour la première fois depuis des heures.

Posant une une main sur sa nuque endolorie pour la masser longuement, il se traîna vers la cuisine et s'échoua sur un tabouret. A cet instant, la porte de sa chambre s'ouvrit à la volée et des pas dévalèrent l'escalier.

Lorsque le visage échevelé de Nathaël apparut, Kei eut presque envie de pleurer : de soulagement, de remords, de tendresse, de déception ? Il ne savait plus... Mais il avait eu si peur pour lui qu'il avait l'impression que toutes les émotions accumulées dans la nuit se désagrégeaient d'un coup et coulaient dans son estomac.

Les yeux vairons s'écarquillèrent d'horreur en le voyant et leur propriétaire courut vers lui. Ses cheveux ondulés étaient complètement emmêlés et il portait encore ses vêtements de travail. S'était-il seulement reposé ? Kei avait été idiot et naïf de croire qu'il pouvait profiter du sommeil de Nathaël pour partir sans éveiller ses soupçons. Déjà qu'en temps normal le jeune homme ne dormait quasiment pas, comment aurait-il pu se détendre après avoir été aussi ébranlé ?

— Qu'est-ce que t'as fait ? s'affola Nathaël. Où t'étais ? Pourquoi t'es blessé ? Merde, Kei, j'ai eu tellement peur !

Le visage caramel était désormais si proche du sien qu'il pouvait sentir son souffle caresser sa joue. Les mains du jeune homme se mirent à tâter ses membres à la recherche de blessures potentiellement cachées.

Immobile, Kei se laissait faire, observant les doigts tremblants partir à l'assaut de son corps. Il s'en voulait. Il s'en voulait de ne pas être capable de le rassurer. Il s'en voulait de ne pas savoir passer outre ses propres émotions. Mais plus que tout, il s'en voulait de ne pas avoir été là...

Alors, tandis que les yeux révulsés par la peur couraient sur lui, il attrapa le visage de son partenaire entre ses mains et l'obligea à lui faire face.

Ce fut lorsqu'il croisa le regard terrifié de Nathaël qu'il prit conscience de l'égoïsme et du manque d'empathie dont il avait fait preuve. Son cœur se fissura et il se sentit si pitoyable qu'il eut envie d'aggraver lui-même ses blessures.

— Nel... Nel, mon amour, je suis désolé. Je suis tellement désolé...

Il caressa les joues hâlées de ses pouces et approcha ses lèvres de leurs homologues si tentantes. Lorsqu'enfin elles se rencontrèrent, ce fut comme si toute l'angoisse tapie dans son ventre s'évaporait et il tira le jeune homme contre lui.

Eros avait les yeux vaironsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant