Sur ton chemin | Eddie Munson

Chapitre 3 - L'agneau égaré

« C'est mon coin préféré du campus. » déclara Eddie à Joanna en arrivant près de la table de pique-nique dans la forêt située derrière le lycée. Comme prévu, ils s'étaient retrouvés sur le parking après les cours et Eddie l'avait directement amenée à cet endroit. « C'est calme, personne ne vient jamais ici. »

Joanna l'avait suivi sans un mot et ne semblait encore pas totalement à son aise. Eddie s'imaginait bien que se retrouver justement dans un endroit aussi isolé avec un quasi-inconnu pouvait être intimidant alors il prenait soin de garder une distance raisonnable entre elle et lui pour qu'elle ne se sente ni incommodée ni oppressée. Il s'appuya dos contre un tronc d'arbre et regarda sa camarade pendant quelques instants, semblant réfléchir à ce qu'il pourrait dire pour la mettre à l'aise et établir le même climat de confiance que pendant le repas.

« C'était très courageux, ce que tu as fait tout à l'heure. » dit-il avec un sourire et sur un ton tout à fait sincère. Voyant l'incompréhension dans le regard de la jeune fille, il poursuivit. « La façon dont tu as répondu à Jason au réfectoire. Devant tout le monde... il va avoir du mal à s'en remettre. Il n'est pas habitué à être repoussé, ça non ! » ajouta-t-il avec un sourire amusé. « Capitaine de l'équipe de basket, belle gueule, populaire... Généralement les filles l'adulent. »

« Je vous ai entendu rire. » répondit Joanna en s'appuyant contre la table en bois légèrement défraîchie par les intempéries et le manque d'entretien.

« Oh ça oui ! Tu as marqué des points à notre table, c'est certain ! J'ai cru que la mâchoire de Dustin allait se décrocher devant ton aplomb et à mon avis, tu as illuminé la journée de Jeff et Gareth. » répliqua-t-il. Le sourire d'Eddie fit écho à celui de Joanna qui venait enfin d'apparaître. « Je crois qu'ils t'aiment tous bien. »

Eddie baissa les yeux vers ses mains et joua distraitement avec ses bagues avant d'aborder le sujet qui lui tenait à cœur. « Écoute, pour être tout à fait franc, je t'ai pas fais venir ici par hasard. » commença-t-il en relevant la tête. « Je voudrais m'excuser de t'avoir fixée comme ça ce matin en cours, c'était pas très malin... Je l'admets... En fait, je... je réfléchissais. »

Joanna fronça les sourcils, pas certaine de comprendre où il voulait en venir. « Tu réfléchissais à quoi ? » demanda-t-elle en cherchant son regard.

« À ton collier. » répondit-il en pointant de l'index le bijou en forme de boussole qu'elle portait autour du cou. Il laissa planer quelques secondes de silence avant de poursuivre. « Il est joli... mais il est surtout pas très commun. Or c'est la deuxième fois en très peu de temps que je le vois. » expliqua-t-il. Mais devant le mutisme de la jeune fille, Eddie inspira longuement et ajouta. « Écoute, Jo. Je sais que c'était toi l'autre soir près du parc. Rick venait de me casser la figure et tu... m'as aidé, en quelque sorte. »

Joanna avait perdu son sourire et essayait de ne pas laisser la panique la submerger. « Je ne vois pas de quoi tu parles. » tenta-t-elle sans parvenir à être convaincante tant sa respiration s'était accélérée. Les coups d'œil qu'elle lançait vers la sortie de la forêt trahissaient également son envie de s'enfuir. Pourtant, quelque chose la retint. A quelques mètres d'elle, Eddie était toujours appuyé contre le tronc d'arbre et se frottait le front. Il n'avait visiblement aucune intention de lui courir après si elle fuyait et son regard ne montrait qu'une sorte de vague confusion et de réflexion. Joanna ouvrit la bouche puis la referma, ne sachant pas quoi dire. Elle baissa les yeux vers son collier et le rentra à l'intérieur de son pull tout en ravalant ses larmes. Elle s'en voulait de n'avoir pas été assez prudente...

« Est-ce que ça va ? » La voix sincèrement préoccupée d'Eddie lui fit relever brusquement la tête. Il la regardait d'un air presque inquiet. Ce garçon venait d'avouer avoir compris qu'elle était capable de choses absolument pas ordinaires et la seule question qu'il lui posait, c'était si elle allait bien ? Trop sidérée, Joanna ouvrit une fois encore la bouche sans qu'aucun son ne parvienne à sortir.

« Je te forcerai jamais à me donner des réponses, si c'est ce que tu veux savoir... Et je ne te poserai même pas de question. » reprit Eddie. Agréablement étonnée, Jo renifla et s'apaisa un peu. Elle acquiesça pour lui montrer sa gratitude.

« En fait, je t'ai fait venir ici pour te remercier... Et comme tu peux le voir, j'ai pris soin de trouver un endroit loin des oreilles indiscrètes. » dit-il en montrant la forêt alentour d'un signe de la main. « Tu n'as rien à craindre, Jo. C'est promis. »

« Tu... tu n'es pas un garçon ordinaire. » parvint-elle enfin à articuler en croisant le regard d'Eddie. Depuis le début, il anticipait ses besoins et déployait toute son énergie pour qu'elle se sente à l'aise et en sécurité. Et tout ça... pour la remercier, sans la brusquer par des questions qui devaient pourtant lui brûler les lèvres.

« Disons que j'ai l'habitude de m'occuper des agneaux égarés. » répondit-il en retrouvant son sourire goguenard. L'image la fit sourire et Eddie frappa soudain dans ses mains avant de la pointer du doigt. « Voilà, je te préfère comme ça ! Quant tu souris. » Cette remarque soudaine parvint même à la faire rire, achevant de la détendre complètement.

« Rejoins-nous au club Hellfire samedi soir. » proposa-t-il d'un air enjoué. « Les garçons et moi, on ne fait pas que de la musique, on joue aussi à D&D... tu sais, Donjons et Dragons. » Mais devant l'air interrogatif de Joanna il ajouta. « Tu connais pas ? Argh ! » cria-t-il en se tenant le cœur, mimant une crise cardiaque. Jo pouffa de rire et Eddie fit un bref résumé. « C'est un jeu de rôle, avec un plateau, des pions et des dés. On vit des aventures dans des mondes fantastiques en combattant des monstres... Tu peux juste venir regarder si tu veux... et tu verras si ça te tente ou non pour une prochaine fois ? »

Joanna planta son regard dans celui d'Eddie en souriant. Elle aimait le fait qu'il ne l'oblige à rien. Il lui faisait simplement sentir qu'il était présent si elle avait besoin. Elle n'avait jamais ressenti ça auparavant, elle qui avait toujours été solitaire, de force ou par choix. C'était rassurant de savoir qu'elle pouvait avoir quelqu'un sur qui compter, quelqu'un en qui elle pouvait apparemment avoir confiance.

« Avec plaisir. » répondit-elle sans hésiter.