Shooter

Chapitre 22

Jordan

Je suis en train de vivre le cinq à sept le plus hallucinant de toute ma vie. Cela m'a pris du temps, mais j'ai pu retracer le parcours scolaire de Robin. J'ai retrouvé des albums photos, me permettant de la voir adolescente puis à l'université. Grâce aux photographies, j'ai eu des noms, j'ai gratté, creusé, exhumé. Ce soir, plusieurs sont là, acceptant de me parler de leurs relations avec Robin. Sur les six femmes de sa vie, deux ont refusé de parler de Robin, préférant effacer ce souvenir de leur mémoire comme elle me l'ont dit. Kerry me salue, contente de me revoir. Je sors immédiatement une enveloppe que je lui tends.

« Qu'est-ce que c'est ?

— J'ai acheté ton tableau, celui que tu as abîmé, c'est ta part.

— Mais, pourquoi l'as-tu acheté ?

— Tu es tellement belle dessus, j'avais envie de le garder. Cela t'ennuie ?

— Non, je sais qui me regardera alors ça va » sourit-elle en repoussant l'argent. Je n'en veux pas, je suis déjà contente de te revoir. »

Je présente les filles puis le point commun de leur présence à toutes ce soir.

« Je suis en couple avec Robin depuis un moment, j'ai eu le droit aux tableaux sans visage, sans signe distinctif, comme vous. Je suis accro à elle, comme vous l'avez été. Je me demande combien de temps il me reste avant qu'elle ne me jette. Je l'ai confronté, elle ne m'a jamais répondu sur ce qu'elle ferait lorsqu'une autre femme éveillera son envie de la peindre. »

Voilà, le débat était lancé. Chacune raconte son aventure, sa rencontre, sa passion, le rejet. Il y a tant de points communs que cela en devient drôle. Des gestes, des paroles, c'est comme si Robin avait un scénario et le reproduisait à chaque fois. Si elle m'a dit que j'étais la seule avec qui elle vivait, elle avait oublié de mentionner « dans cette maison ». Robin m'a menti. J'apprends, surprise qu'elle avait fait la même chose avec un ami masculin à l'université, ami qui était tombé dans ses filets, qu'elle avait vampirisé au point qu'il avait fait une tentative de suicide quand elle l'avait jeté lors de sa dernière session, n'ayant plus besoin de lui. Toutes reconnaissant néanmoins son talent, cette façon de les mettre en lumière, l'intensité de ce qu'elle éprouvait, même si cela retombait et s'effaçait. Robin était une amoureuse temporaire. Elle s'impliquait sans concession dans une relation et passait aussi vite à autre chose. Son amour était comme son exposition : éphémère.

Toutes m'enlacent, me souhaitent bonne chance, Kerry est la plus sensible. Nous avons déjà partagé un moment ensemble et le fait de savoir que je possède son tableau me rend spéciale à ses yeux. Elle est mignonne, mais je ne suis pas là pour coucher avec elle, ce serait bizarre de coucher avec l'ex de ma future ex.

« Bonne chance », murmure-t-elle en posant son front contre le mien, posant ensuite ses lèvres sur les miennes. « Quand tu auras envie de parler, appelle-moi, Jordan. »

Dans le métro qui me ramène, j'essaye de mettre mes émotions de côté, il le faut, je dois prévoir mon départ, récupérer mes affaires et simplement rompre. Robin s'est rattrapée dernièrement, elle était fière de ma nouvelle promotion et de mon passage dans les médias, conservant même les journaux où j'apparaissais en photo, les articles mentionnant mon nom. J'avais l'impression de retrouver la femme dont j'étais tombée amoureuse. Nous couchons encore ensemble, c'est toujours aussi divin, mais quand elle me caresse j'ai l'impression de voir un compte à rebours dans ses yeux.

« Bonsoir, ma chérie », m'accueille-t-elle quand je rentre, « c'était bien ta soirée ? »

Je la rejoins une fois mes chaussures enlevées.