Shooter

Chapitre 18

Jordan

En sortant de la galerie, après avoir insisté auprès de la galiériste pour me mettre la toile de côté, que je vais la prendre telle quelle, je vais pour pousser la porte des bureaux voisins et montrer attendre Robin qui est sur un chantier quand je reconnais la femme qui m'a bousculée devant la galerie, revenue se garer juste à côté. Je m'approche et remarque son maquillage qui a coulé. Je m'accroupis, me mettant à hauteur de la fenêtre du côté passager, et je toc deux coups, lui demandant si ça va. J'insiste jusqu'à ce qu'elle baisse la fenêtre.

« Est-ce que vous allez bien ? Vous voulez que j'appelle quelqu'un ? Je peux vous inviter à prendre un café pour discuter ?

— Ça va aller, merci. Encore désolée de vous avoir bousculée tout à l'heure.

— Ce n'est rien, je vous assure. C'est vous qui avez abîmé ce tableau ? C'est dommage, il est vraiment beau. »

La femme redresse la tête en me souriant, avant de se moucher.

« Oui, je l'aime aussi, c'est mon préféré. Robin a su capter quelque chose que je n'avais jamais vu. Je me suis sentie belle le jour où elle a terminé cette toile.

— C'est vous ? »

Oh mon dieu !

« Oui, j'ai posé pour Robin il y a un peu plus de deux ans, avant que nous ne sortions ensemble. Elle est si intense quand elle peint, dans ses relations. Tout ce qu'elle fait est fusionnel, et puis elle m'a laissé, quasiment du jour au lendemain. Je n'ai plus eu de nouvelle. Elle a bloqué mon numéro, émis une mesure d'éloignement pour que je ne l'approche pas. J'ai été voir la police afin de l'empêcher d'exposer mes toiles, qu'elle ne puisse pas les vendre, mais comme l'on ne voit jamais complètement mon visage et qu'elle a retiré tout ce qui pourrait m'identifier, ils ne pouvaient rien faire. J'avais été prévenu pourtant, par un autre modèle de Robin, de me méfier, de m'éloigner, qu'elle était toxique dans ses relations, mais je n'ai rien voulu entendre, j'étais si amoureuse. »

Je suis estomaquée par ce que j'entends. Je me reconnais complètement en cette femme.

« Je m'appelle Jordan, vous voulez bien que l'on aille quelque part pour discuter, j'ai envie d'entendre votre histoire.

— Kerry, d'accord, montez.

— Je connais un petit café sympathique un peu plus loin, si ça vous tente. »

Pendant plus d'une heure j'écoute Kerry me parler, me raconter que c'est un de ses amis qui, surveillant les réseaux sociaux, a retrouvé la trace de Robin, suite à la publicité pour son vernissage. Elle me parle de ce qu'elle a vécu, bien que ce soit moins intense que ce que nous vivons ensemble. Par contre, le précédent modèle, et celui d'avant, là c'était réellement fusionnel. Toutes ses relations se sont arrêtées du jour au lendemain, une fois qu'elle avait obtenu ce qu'elle voulait. De la matière pour une exposition. Vendre des toiles, faire un maximum d'argent. Lorsque je retourne vers la galerie, j'entre, paye le tableau et lui donne mon adresse pour la livraison, lui indiquant les heures où je serais présente. Puis, me composant un visage souriant, heureux, amoureux, ignorant tout du passé de Robin et de son mode opératoire, je monte jusqu'à son bureau.

« Salut, chérie ! Je suis passé tout à l'heure mais tu devais encore être sur ton chantier, je suis allé faire des courses » dis-je en sortant la bouteille de vin.

« Ohhh, mais il n'est pas donné celui-là, c'est en quel honneur ?

— Nos quatre mois ! » dis-je légèrement outrée qu'elle ait oublié, mettant mes poings sur mes hanches.