Chapitre 8

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   Le vent lui fouettait les joues et s'engouffrait dans ses cheveux vert bouteille. Ils apparaissaient bruns dans la lueur lunaire. Les nuits étaient fraîches dans ces latitudes, mais elles n'empêchaient pas la sueur de couler le long de son dos, laissant des traînées luisantes qui scintillaient sous l'éclat des lumières de la ville. De sa bouche entrouverte s'échappaient des volutes de vapeur blanches qui s'évanouissaient sans autre bruit que sa respiration doucement fébrile, à peine audible. Un œil rivé devant lui, l'autre condamné à l'obscurité, il fronçait ses sourcils avec concentration et détermination. Ses boucles d'oreille cliquetaient à chacun de ses mouvements, répétitifs, les mêmes depuis déjà une vingtaine de minutes.

   « La virilité tient-elle donc à si peu de choses, pour que tu doives sacrifier du temps de sommeil pour t'entraîner ? »

   Zoro se retint de rouler des yeux. Les pas de Sanji se répercutaient sur le toit, résonnaient dans ses doigts à plat sur les tuiles d'ardoises irrégulières, presque en synchronisation avec le lointain grondement du tonnerre. Il s'arrêta à quelques mètres de lui, le bout de ses chaussures cirées dans son champ de vision. L'odeur étouffante du tabac le prit à la gorge, mais il ne réagit pas, sachant que c'était la seule chose que l'autre attendait. Il finit sa série de pompes sans accorder un regard au gêneur qui venait de faire irruption et se releva à son terme. Il saisit son T-shirt roulé en boule pour s'éponger le visage et le torse, encore soulevé par de rapides inspirations. Il s'accouda à l'antenne télé, croisa les jambes puis adressa un signe du menton au blond.

    « Qu'est-ce que tu fous là ?

   — J'ai même plus le droit de profiter de la vue ? » Il se tourna vers le Sacré Cœur, paré des nuances ocres grandioses que lui conféraient les éclairages. « T'es trop rustre pour apprécier la beauté du paysage, c'est du gâchis que tu sois là.

   — Si t'es si désœuvré que ça, va choper de la blonde parisienne au lieu de me les briser, » suggéra Zoro alors qu'il s'écartait de l'antenne, se disait que ce n'était pas une idée si brillante que ça de s'y adosser.

   Sanji se tourna vers lui, un air blasé dans l'œil. Même sa mèche le regardait de travers depuis la mauvaise blague du zoo, quintessence de l'animosité qui régnait entre eux. Bien loin de s'en préoccuper, le vert en avait gardé une certaine fierté dont il s'était targué toute la journée pour le plus grand agacement de son rival qui cultivait à son égard une haine vengeresse. Le retour de flammes allait être particulièrement violent, il en faisait le serment.

   « Qu'est-ce que tu fous là, shittycook ? répéta-t-il, la voix chargée de suspicion.

   — Tu fais trop de bruit avec tes pompes justes au-dessus de ma chambre, c'était chiant.

   — Fais pas style que tu pionçais, t'es encore en chemise, » rétorqua-t-il bien qu'il eût ôté sa cravate et enlevé quelques boutons de sa chemise blanche. Ses clavicules laiteuses apparaissaient translucides, autant que sa pomme d'Adam ressortait par contraste avec la luminosité. La brise agita doucement ses cheveux fins, emmenant avec elle les nuages de fumée nauséabonds de sa cigarette.

   « C'est quand même chiant, va faire ça ailleurs, reprit-il.

   — Dans ta chambre, par exemple ? proposa Zoro, un rictus narquois étirant ses lèvres sèches. Je t'assure que ça fera moins de bruit.

   — Essaie et j'te vire par le balcon, coup de pied au cul, le dissuada Sanji en nettoyant justement le dessus de sa chaussure, sans doute salie par quelque poussière intempestive.

   — T'es sûr d'être si fort que ça ? Tu me menaces depuis le début, j'en ai pas vu la couleur, de tes coups de pieds. »

   Il ne vit pas non plus le blond se rapprocher de lui, ni sa semelle qui lui arrivait droit dans la figure. Pas jusqu'au dernier instant, qui lui permit tout de même d'esquiver d'un brusque mouvement de tête sous la protestation plaintive de ses cervicales. Il fit quelques pas chassés pour se remettre sur ses appuis, mais un nouvel assaut le força à reculer encore. Mawashi-geri, pensa Zoro, reconnaissant un des mouvements cultes du judo. Il banda ses muscles et para le coup suivant, non sans encaisser le choc, désarçonné par la puissance que mettait Sanji dans ses jambes. Il ne paraissait même pas en avoir une fétiche, jonglant entre la droite et la gauche selon ce qui lui était le plus pratique. Ses mains, sans être engoncées dans ses poches, n'étaient même pas en garde pour éventuellement se protéger, simplement le long de son corps avec une nonchalance qui frisait l'insolence. Il sourit.

Not Emily in Paris but Zoro et Sanji à la placeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant