Chapitre 40 : fête

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C'était le pire solstice d'été de toute son existence !

Ruminant tout en mâchouillant son morceau de viande, Denki n'arrivait pas à détourner son regard de la scène un peu plus loin. Son petit cœur était en miette et malgré toutes les tentatives d'Hanta pour lui remonter le moral, rien n'y faisait. C'est comme si un voile sombre s'était gravé sur ses pupilles pour tout assombrir. Les couleurs s'étaient effacées, le son s'était assourdi. Plus rien n'avait d'importance, jamais Denki n'allait pouvoir s'en remettre.

Pourtant, il pensait avoir enfin réussi à devenir quelqu'un d'important à ses yeux. Il avait tant donné. Tous ses efforts pour se mettre en valeur. Il avait même appris à jouer d'un instrument pour elle !

Et tout ce travail acharné pour quoi ?

À cet instant, alors qu'il observait au loin Kyoka rire aux éclats, accrochée au bras de Momo, Denki se disait très sincèrement que sa vie ne pouvait pas être pire...

Il ne savait pas que ces deux-là étaient si proches. Si intime. Il pensait avoir toutes ses chances. Comment avait-il fait pour ne rien voir ? Comment avait-il pu être aussi aveugle... ?

Après le succès de leur concert, l'étalon s'était empressé d'aller retrouver la jeune pouliche. Il était persuadé que c'était LE moment ! Celui où tout allait changer entre eux !

Et tout commençait si bien. Quand le mâle l'avait aperçu entouré par la cohue un peu plus loin, il avait galopé jusqu'à elle. Elle avait l'air de n'attendre que lui, scrutant la foule à sa recherche. Même la lune semblait vouloir illuminer sa silhouette dans la nuit noire.

Mais tout avait basculé au moment où il allait l'atteindre.

Il avait observé son visage s'éclairer, presque trop lentement. Mais ce n'est pas lui que ses grands yeux pétillants avaient découvert. Alors, il l'avait vu, heureuse, se jeter dans les bras de Momo venu la complimenter. Ce geste avait été tellement spontané, si naturel. Denki était resté planté là, immobile, au milieu de la foule. Il avait vu le regard de la jeune pouliche changer, la lueur dans ses pupilles sombres se teintant d'éclats lumineux presque irréels. Il avait découvert une Momo, toujours si sérieuse d'ordinaire, sourire en retour avec une douceur qui lui était rare.

Denki aurait pu croire que ce n'était rien de plus que le hasard d'une torche venu éclairer leurs visages par mégarde. Mais Kyoka avait tendu ses lèvres charnues et l'archère avait répondu à l'invitation en rosissant.

Là, au milieu de la foule, Denki avait senti son cœur se briser en mille morceaux.

Submergé par l'enchaînement des évènements, il n'avait fait que suivre les gestes naturels que les deux femmes avaient l'une pour l'autre. Momo avait offert son bras et ceux de Kyoka s'étaient enroulés autour. Les joues rosies, elles se dévoraient du regard avec toute l'innocence d'une idylle naissante. Puis, tout aussi simplement qu'elles s'étaient trouvées, les deux juments s'en étaient allées. Blotties l'une contre l'autre, frottant leurs flancs dans une étreinte légère, elles avaient disparu dans la foule, le sourire au bord des lèvres.

C'était Hanta qui avait fini par venir le récupérer, alors que l'étalon gênait le passage.

Mais à quoi bon ? Désormais, Denki faisait la tête, maugréant contre l'existence tout entière, noyant sa peine de cœur dans les mets disposés devant lui.

Il aurait dû se réjouir pourtant, alors qu'il était installé entre ses meilleurs amis, un repas digne des plus grands, juste devant lui. C'était une fantastique fin de festival auquel Denki avait la chance de participer.

Autour de lui, les jeunes adultes, dont le front était peint d'orange et de vert, riaient gaiement, heureux d'avoir accompli le rituel de passation. C'était aussi le cas de quelques poulains.

Les voies de la nature [BakuDeku]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant