Lyra

Chapitre 3 - L'importance des traditions

— J'y crois pas, s'écrie Beka. Et après, il t'a ramené chez toi ?

— Ouais, c'était gentil de sa part. Mais après mon comportement distant, il n'est pas prêt de revenir me parler, fais-je fièrement devant l'air consterné de mon amie.

— Si Neil ne t'intéresse pas, je me ferai un plaisir de lui faire découvrir Rottenwood, ronronne-t-elle. Enfin, si tu n'y vois pas d'inconvénient.

— Alors là, vraiment, fais toi plaisir, tu as ma bénédiction, raillé-je. D'ailleurs, tu penses que tes parents seront d'accord pour que tu viennes dormir quelques nuits chez moi pendant que ma mère est au travail ?

— Elle a encore pris des heures sup ? Relève Beka.

— Ouais, nos fins de mois sont assez compliquées en ce moment, avoué-je en triturant la mie de mon sandwich. Mais d'ici quelques jours, je recevrai ma paye, tout va changer.

— C'est ça qu'il faut se dire, s'exclame Beka en tapant du poing sur la table. Faut garder la pêche et tout donner pour améliorer ta situation, t'es sûr que tu ne veux pas que je t'aide moi aussi ?

Je lui souris, Beka m'a souvent proposé de travailler elle aussi pour nous aider financièrement, mais j'ai toujours refusé. Même si ça me touche, ce ne sont pas ses problèmes, ce n'est pas à elle de se priver pour moi.

— Non merci, c'est gentil de ta part, d'ailleurs cette après-midi je vais chez la fleuriste puis au cimetière comme habituellement tu veux m'accompagner ?

Chaque mercredi après-midi, j'ai la tradition d'aller chercher un bouquet de fleurs fraîches pour les poser sur sa tombe. Ça m'est insupportable de voir sa tombe avec des fleurs fanées. J'en profite souvent pour lui raconter ce qu'il s'est passé dans la semaine, je discute souvent avec lui... Je fais semblant qu'il est encore là à m'écouter lui raconter mes histoires, et mes ragots avec son petit air intéressé. Je l'imagine parfois rire à certaines de mes blagues. Le jour de son anniversaire, je vais lui acheter sa viennoiserie préférée toujours dans la même boulangerie, celle qui aimait tant. Et sur sa tarte citronnée meringuée, j'allume une bougie que je laisse se consumer dans l'espoir de le voir apparaître et souffler dessus afin d'éteindre la flamme. Ce qui n'arrive jamais.

— Ça aurait été un honneur de t'accompagner, commence-t-elle en posant sa main sur la mienne d'un air compatissant. Mais je dois accompagner ma mère à son échographie. Je suis désolée.

— Ne le sois pas, il faut que tu sois présente pour ta mère, elle attend des jumeaux, c'est très important et fatigant pour elle, je suppose.

Pour moi, la famille est la première chose à faire passer devant quoi que ce soit, et Beka est comme moi. C'est pour cela que nous nous comprenons autant. Je suis très contente pour elle qui va devenir grande sœur. Je réfléchis déjà à ce que je pourrais acheter à ses petits frères ou sœurs. Ce qui est sur c'est que Beka et moi les gâterons. Après avoir fini de manger, Beka insiste pour m'accompagner choisir le bouquet de fleurs, comme elle ne pouvait pas m'accompagner au cimetière elle voulait au moins être présente pour le choix des fleurs. Comme il n'avait pas de fleurs préférées en particuliers, j'en profite pour lui faire un bouquet à chaque fois différent, changeant parfois les couleurs, parfois les sortes de fleurs. Cette fois, j'opte pour des anémones, les étamines noires créent un incroyable contraste avec le cœur de leurs pétales bleus. En plus d'être une fleur de saison, elle est vraiment très belle.

Ravie, je prends alors le chemin du cimetière. Le vent glacé vient me fouetter le visage, je réarrange mon écharpe de sorte à ne pas attraper froid. Une fois arrivée, je pousse les lourdes grilles du cimetière, le froid m'engourdit les phalanges, je souffle dessus afin de les réchauffer. Je longe silencieusement les pierres tombales, profitant du silence pour faire un break. Certaines personnes n'aiment pas les cimetières, je ne les aimais pas non plus avant, mais il m'a fait apprendre à les aimer et puis avec le temps, j'ai pris l'habitude de cette paix un peu morbide. En voyant sa tombe, je m'assois pile devant, il y a deux bouquets, le mien de la semaine dernière et l'autre doit sûrement venir de sa famille d'accueil. Avant d'être adopté à l'âge de douze ans, il vivait à l'orphelinat de la ville. Ses parents adoptifs ne me parlent plus depuis, je leur ai présenté mes condoléances à l'enterrement, mais ils m'ont ignorée. Ils doivent sûrement me tenir coupable de la mort de leur fils. Ce qui n'est pas faux en réalité. Je tends mon bras vers la pierre tombale et passe délicatement mes doigts sur son prénom puis sa date de mort. J'ai l'impression que ma cicatrice me picote, mais je n'y prête pas attention bien trop concentrée sur ce moment important pour moi.