Lyra

Chapitre 42 - La dernière étape

Rien ne pourra nous arriver... Rien...
Ces mots ricochent contre mon cœur, ces mots n'ont plus aucun sens à présent. A présent qu'il est mort.
Agenouillée aux côtés d'Eliott, je l'observe rendre son dernier souffle. L'histoire se répète sans que je ne puisse y faire quoi que ce soit. La douleur qui éventre mes organes un à un n'est jamais partie. Le vent froid me grignote toujours petit à petit chaque parcelle de ma peau. Tandis que le sang d'un rouge vif contraste avec la pâleur de son visage. Et alors que je me perds dans le torrent de larmes qui essaye de me noyer, je laisse échapper un cri qui déchire le ciel. 

Je sais... Je sais que les secours arriveront trop tard. Je sais que le jeune homme à qui j'ai donné mon cœur est en train de me quitter au fur et à mesure que les minutes s'écoulent. Et je sais qu'une partie de moi-même quittera ce monde avec lui. Me laissant perdue, en proie au froid et à la solitude. Cette sensation d'être devenue une pauvre demie âme qui ne retrouvera jamais son autre moitié. La douleur est si forte qu'elle m'empêche de respirer... Comme un poids contre mon torse, je halète avec peine. Revivre ce moment est un supplice, une épreuve insurmontable pour la misérable enfant que je suis. Car oui, je ne suis plus la jeune femme qu'on appelle Lyra. Je suis redevenue cette gamine complètement désemparée d'il y a quelques années. Je me rends compte que je n'ai pas cessé de hurler, qu'au moment où ma voix se brise soudainement.

— Elliot, non ! Non, non, non, non, m'emporté-je exténué par la violence de ce qui se joue sous mes yeux. Je vous en supplie, prenez moi à sa place. Je vous en prie...

Secoué de spasmes, l'amour de ma vie se bat contre la mort. Une bataille qui je sais d'avance se finira par la perte de l'être que je chéris le plus au monde. Ne sachant pas quoi faire pour l'aider, je presse mes mains contre sa plaie ensanglantée et ferme les yeux. L'envie de remonter le temps est si puissante qu'elle engourdit mes avant-bras jusqu'au bout de mes doigts. Je me déteste tellement d'avoir insisté pour sortir ce soir. Je m'en veux de ne pas l'avoir écouté. De ne pas avoir su que l'homme que j'aimais était un sorcier, un nocturne. Et que Léon le tuerai pour ne pas m'avoir amené à lui pour m'utiliser par la suite. Je m'écœure de n'avoir jamais rien su, de n'avoir jamais rien fait. D'être encore et toujours cette fille que l'on protège et qui voit ses proches se saigner jusqu'à en mourir. Revivre la mort d'Eliott est pire que la première fois, comme rouvrir des plaies qui n'avaient pas encore eu le temps de cicatriser. La douleur est vive ainsi que profonde.

Si j'avais eu les pouvoirs de l'Élue, j'aurais pu le sauver. Tout aurait été si différent...
Dans un regain d'espoir, je rouvre les yeux et tente d'activer ma magie. Je mords la lèvre jusqu'au sang afin de combiner la magie blanche à celle des nocturnes. Cette fois, je ne te laisserai pas mourir Eliott.
De violentes vibrations envahissent la paume de mes mains, je les presse alors contre son torse et prie pour que cela le soigne.
Soudain, je l'entends prendre une longue inspiration et sa plaie cesse de se vider de son sang. Ne voulant pas en croire mes yeux, j'ose à peine penser que cela a pu marcher.

— Eliott ? M'écrié-je en caressant sa joue du bout des doigts. Ça a marché ?

Mon sourire s'efface subitement quand je comprends que son visage est aussi froid que celui d'un mort. La respiration que je viens d'entendre était en fait sa dernière... Et si sa plaie ne saigne plus, c'est parce qu'il s'est vidé de son sang.
Tel un coup de massue, je reste sonnée plusieurs secondes, le regard dans le vide. Cette sensation ne m'est pas inconnue. Celle que l'on ressent quand notre cœur comprend la réalité après la raison. Comme se brûler et ne ressentir la douleur qu'une fois la flamme éteinte. Comme perdre le dernier grain d'espoir qu'il me restait. Comme tout perdre en une fraction de seconde. Cette sensation n'a pas de nom, seuls ceux qui l'ont vécue un jour pourront savoir ce que je ressens à cet instant précis. Elle nous marque au fer rouge pour le restant de notre vie. Certains s'en sortent, d'autres commencent une chute longue et périlleuse. Dégringolant sans savoir quand arrivera l'impact du sol à l'arrivée. Cela fait plus de deux ans que je tombe encore et encore sans trouver la force de m'accrocher pour remonter la pente. Cela fait bien longtemps que je sombre en espérant un jour revoir la lumière qui me tendait les bras avant la mort d'Eliott.