Chapitre 11

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Arriver à l'avance a toujours été un mantra. « Si tu arrives à l'heure, tu es déjà en retard ! » J'ai pété tous les scores, j'ai une heure d'avance. De quoi me torturer et ruminer bien comme il faut. La secrétaire m'a installé dans le bureau au fauteuil bleu tout pourri, en attendant, je dois trouver une entrée en matière. C'est moi qui contrôle. C'est moi qui dirige la conversation. C'est moi qui....

— Bonjour Ézéchyel. Vous tombez extrêmement bien, un client a annulé à la dernière minute.

DÉJÀ ? Il feuillette ses notes manuscrites avant de lever les yeux vers moi. J'ai perdu ma langue ou quoi ? PARLE CONNARD !

— Ouais. Heu. Écoutez. Je déteste être ici. Disons que j'ai passé des trucs dégueulasses et je n'ai aucune envie d'en parler. J'aimerais que vous le respectiez.

— Vous savez que l'entente de base c'était de remplir le questionnaire. Si vous décidez de sauter des questions, très bien, mais je vais quand même avoir besoin que vous parliez.

— C'est mon intention. Mais je veux parler de ce dont j'ai envie. C'est possible ?

— Faites donc !

— Parfait.

Je me fais violence pour cracher tout ce que j'ai à dire.

— Alors voilà. Quelques mois après mon arrivée aux États-Unis, j'ai rencontré un gars. Dominic, putain, il était beau, classe, gentil. Il a été super accueillant. On s'est entendu tout de suite. Je n'avais jamais eu la chance de rencontrer quelqu'un semblable à lui. Libéré et franc. Et il était gay, dah ! Il m'a balancé ça comme si c'était une évidence. Tout le monde le savait et il ne s'en cachait pas ! Sur le moment, j'ai été épaté. Il a lancé une phrase comme « Si les gens ne l'acceptent pas, s'ils ne cherchent pas à comprendre, c'est simplement qu'ils ne m'aiment pas comme je le mérite. Alors, qu'ils aillent tous se faire foutre ». Il a lu en moi. Il a su tout de suite ce que j'étais, même si je n'avais jamais évoqué le fait d'être gay.

Par la force des choses, j'ai suivi son exemple. Il m'a inspiré ! Je me suis affiché. Je m'attendais à des jugements de la part des autres, mais rien. Normal. Si j'avais dit « j'ai les cheveux roux », l'impact aurait été le même. L'évidence même. Il m'a scotché !

— J'ai commencé à m'afficher comme gay. Les gens autour de moi n'en ont fait aucun cas. Sam n'a pas arrêté de me prendre dans ses bras, il n'a jamais mis d'espace entre nous. Sonia était excitée d'avoir un ami homo. Et Dom, lui, je, heu... »

Comment parler de lui sans avoir la gorge qui cherche à hurler ? Ça me bouffe. Respire Ez.

— Il a fait que ma liberté prenait enfin son sens.

Une larme s'échappe de mon œil, je m'empresse de l'essuyer. Garry ne le relève pas. Heureusement pour lui. Fébrile comme je suis, mieux vaut qu'il la ferme.

Je ferme les yeux et je me lance.

« À ma première fête étudiante. Dire que j'étais nerveux serait un euphémisme. Un gars de mon cours d'économie m'a servi deux vodkas pures que j'ai vidées en quatre gorgées. Une excellente mauvaise idée ! J'avais la tête qui tournait, la libido dans le plafond et le cœur au bord des lèvres. La musique était tellement forte que je la sentais battre dans mes tempes. Je déambulais à travers les corps qui bougeaient en cadence et qui se collaient les uns aux autres.

J'avais chaud ! J'étais perdu. Voir autant d'humains se toucher les uns les autres. C'était nouveau pour moi. Entrer dans un monde ou les convenances et la bienséance, n'existait plus. J'y ai trouvé un univers d'acceptation des mœurs et valeurs de chacun plutôt que l'obligation d'imposer les nôtres aux autres. C'était libérateur de ne pas avoir une opinion sur tout, de simplement se laisser guider au gré de sa fantaisie sans dépasser les limites. C'était formidable.

Le prix du péchéOù les histoires vivent. Découvrez maintenant