── Prologue : Ephraïm.

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   21 octobre 1919, 20h25.

   Small Heath, Birmingham.

   L'odeur de la fumée.

   L'odeur de la pluie fraîchement tombée sur la route.

   L'odeur de l'alcool, qui émane de l'homme bien éméché qui vient de le bousculer en passant.

   Aucun doute n'est possible : il est bel et bien de retour dans le pire quartier de Birmingham.

   Malgré la nuit tombée, l'incessante fanfare de bruits métalliques que produisent les usines ne semble pas sur le point de s'arrêter. Depuis la fin de la guerre, a t-il entendu dire, Small Heath ne dort jamais.

   Non pas que ce coin ait dormi beaucoup avant, se fait-il comme réflexion. 

   Ephraïm continue son chemin ; fermant le haut de son manteau d'une main pour se protéger des rafales de vent. Même s'il avait eu un parapluie sur lui, il n'aurait pas pu l'ouvrir pour se protéger de la pluie qui a inondé jusqu'à ses chaussettes il y a un moment déjà.

   Des odeurs, du bruit, du vent et de la pluie.

   Exactement la façon dont il a quitté Small Heath cinq ans plus tôt.

   Cinq ans, ou une vie entière?

   Il ne saurait dire. Mais il suppose qu'il aura la réponse d'ici peu, lorsqu'il aura enfin terminé de remonter jusqu'au 12, Watery Lane. 

   A priori, l'adresse est toujours la même - Ephraim n'a jamais particulièrement aimé cette maison, mais il s'est senti soulager d'apprendre que certaines choses, au moins, n'ont pas été changées par la guerre.

   18, 16, 14, 12.

   Dans le cas où rien n'aurait changé ici non plus, le numéro 18 est habité par la famille Myers (un couple sans enfants, dont la femme leur donnait parfois des parts de tartes quand ils jouaient dehors l'été), le numéro 16, par les Liebmann (le père est mort à la guerre, donc la mère devrait habiter ici seule avec ses trois gamins) et le numéro 14, par les Rogerson (ou habite, entre autres, Cecilia Rogerson, une fille de son âge dont il était persuadé d'être amoureux quand il était gamin).

   Et le numéro 12, par les Shelby, évidemment.

   Une énorme flaque d'eau fait guise de tapis d'entrée. S'il n'avait pas déjà les pieds trempé, Ephraïm aurait peut-être fait l'effort de la contourner.

   L'eau est froide. Il toque à la porte.

   Une fois. Deux fois.

   Derrière un rideau, une lumière s'allume.

   Un petit moment plus tard, la porte s'entrouvre à peine.

   Une femme plutôt jeune, aux longs cheveux noirs, qu'il ne reconnaît pas.

   Et merde.

- Ouais? demande-t-elle à travers l'entrebâillement. Si c'est pour nous vendre des conneries, vous pouvez dégager tout d'suite, parce que -

- Mes excuses, madame. Avant la guerre, ma famille habitait ici, et je -

- C'quoi le nom d'votre famille? demande-t-elle sèchement. Vous vous êtes sûrement trompé, parce qu'ça fait depuis longtemps que personne a déménagé ici.

- La famille Shelby. Auriez-eu écho de l'endroit où ils seraient...

   La porte lui est refermée devant le nez.

   Ephraïm ferme les paupière.

   Bon. Ce n'est pas grave, rationnalise-t-il. Il ira se trouver un hôtel pour la nuit, et demain, il regardera où commencer pour...

   Au moment où il s'apprêtait à faire demi-tour, la porte s'ouvre à la volée.

   Mais cette-fois, c'est un individu beaucoup plus familier qui lui fait face.

- Jésus, Esme! Tu m'expliques pourquoi t'as failli mettre un Shelby à la porte? dit-il à l'attention de la femme d'avant. 

   D'abord tendu, le visage de son frère se détend. Ephraim sent que cela doit être le cas pour le sien aussi.

- John, le salue-t-il. Tu n'as pas grandi.

- Toi non plus.

- Contrairement à toi, je n'en ai jamais eu besoin.

   Silence. John hoche la tête.

   Pendant ce qui lui paraît être une éternité, Ephraïm n'ose rien dire de plus, rien faire de plus - même si John a toujours été son frère préféré, beaucoup de choses peuvent se passer en cinq ans. Ephraïm n'est probablement plus exactement la même personne que la dernière fois qu'ils s'étaient vus, et c'est certainement également le cas pour John. 

   John hoche encore une fois la tête - il a toujours été un grand hocheur de tête, celui-là.

   Et ensuite, il fait un pas vers son frère, et le serre dans les bras.

- Bienvenue à la maison, Eph.

Ephraïm Shelby » Peaky BlindersOù les histoires vivent. Découvrez maintenant