── Chapitre 39 : Orla.

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   29 novembre 1919, 8h11.

   Shelby Company Limited, Small Heath, Birmingham.

   Orla n'a presque pas dormi de la nuit. 

   La faute à sa mère et à Saphir, qui n'ont pas arrêté d'hanter ses pensées ; en boucle et en boucle.

   Lorsqu'elle s'installe dans son minuscule bureau, le lendemain matin, elle commence par fermer les yeux en appuyant ses mains contre son front, juste un instant, juste pour...

- Est-ce que cette entreprise vous paye pour dormir, mademoiselle?

   En entendant une voix féminine qui lui est inconnue, Orla se redresse si brusquement sur sa chaise qu'elle manque de tomber à la renverse. Face à elle se trouve une jeune dame qu'elle a déjà vu de loin : si elle ne dit pas de bêtises, il doit s'agir de la sœur de tous les Shelbys ; celle qu'elle voit souvent déambuler dans les couloirs, habillée de son manteau noir chic, de ses robes chic et, alternativement, même de pantalons chic.

   Tout est chic, chez elle. Parfois, Orla ne sait plus si elle l'admire ou si elle est simplement jalouse. 

   Probablement les deux.

- Excusez-moi, articule Orla en ouvrant grand les yeux. Je...

- La prochaine fois, je dirais à Lizzie de retirer onze minutes de votre paye, déclare son interlocutrice en s'asseyant sur le petit tabouret qui se trouve en face du bureau d'Orla.

   Orla avait récupéré ce tabouret instable à trois pieds dans un local inutilisé lorsqu'elle s'était mise à la recherche d'un meuble pour agrandir son bureau. Faute d'avoir trouvé mieux, elle avait pris le petit objet et s'en servait depuis quelque jour comme « repose dictionnaires ».

   A moins que les trois livres ne se soient évaporés depuis hier, ils servent désormais d'assise à Ada Thorne.

- Excusez-moi, répète Orla. Cela ne se reproduira plus.

- Bien. (La dame croise une jambe sur l'autre ; regarde le bureau du sol au plafond. Ensuite, c'est sa propriétaire qui est scrutée de la tête aux pieds.) Orla Cagney, finit-elle par dire comme si elle informait Orla de ce fait.

- Oui, répond l'intéressée sans trop savoir quoi dire à cela.

- Vous savez qui je suis?

- Je crois?

- Ada Thorne, se présente-t-elle de la façon la plus neutre qu'il soit. La sœur de tous les monsieur Shelby que vous pouvez possiblement connaître.

- Enchantée, mada -

- Je n'irais pas jusque là, non, l'interrompt-elle d'un air distrait. Pas encore, en tout cas.

   Qu'est-ce que...

   Orla ne peut s'empêcher d'hausser un peu les sourcils. Il est lundi, 8 heures du matin, et c'est comme cela qu'elle commence sa semaine? En comparaison, la fuite d'eau dans sa cuisine du début de la semaine dernière paraît moins désagréable.

- Parlez-moi un peu de vous, mademoiselle. D'où venez-vous?

- Euh... Est-ce qu'il y a eu un problème avec mon dossier administratif? tente-t-elle d'esquiver ce qui semble aller tout droit vers un interrogatoire auquel elle n'a pas envie de participer. Il me semble que Lizzie avait déjà enregistré toutes mes réponses à toutes les questions nécessaires pour mon emploi ici lorsque -

   Ada Thorne sort un papier plié en deux d'une poche de son manteau et le pose à plat sur le bureau.

- Oh, je sais, dit-elle simplement. Je l'ai ici, votre dossier. Mais ce qui m'intéresse plus particulièrement, c'est ce qu'il n'y figure pas.

Ephraïm Shelby » Peaky BlindersOù les histoires vivent. Découvrez maintenant