── Chapitre 14 : Ephraïm.

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   22 octobre 1919, 19h19.

   Dans le train en direction de Birmingham.

- Cela va faire mal, l'avertit mademoiselle Cagney.

   Il ferme les paupières. Elle nettoie la coupure qu'il a sur le haut de la joue avec un mouchoir imbibé de whisky.

   Cela fait effectivement mal, mais moins que le coup de poing qui a causé la blessure.

   Ephraïm et la fille se trouvent dans un compartiment vide du train. Il est assis près de la fenêtre, et elle se tient debout devant lui le temps de s'improviser infirmière. A la moindre secousse du train, il croit qu'elle va faire un vol plané.

- Merci, lui dit-il en espérant couper court à son auscultation afin qu'elle aille se rasseoir avant de se casser une jambe par sa faute.

   Sans le toucher, elle inspecte une dernière fois la plaie - elle se penche un peu en avant, et Ephraïm se sent tout à coup un peu à l'étroit dans sa chemise -, puis elle va s'asseoir sur la banquette en face de lui. 

- Ce n'est pas très profond, conclut-elle en prenant la flasque en métal d'Ephraïm posée sur la minuscule tablette à sa droite. Le visage, ça saigne toujours vite et beaucoup. 

   Elle en dévisse le bouchon, croise une jambe sur l'autre, puis fait tomber une pluie de whisky sur sa chaussure surélevée.

- Il m'a craché dessus, explique-t-elle une fois qu'elle a terminé son opération.

- Oui, j'avais compris. 

- Désolée pour votre whisky.

- C'est pour la bonne cause. Dieu sait où cet énergumène a rampé avant. 

   L'ombre d'un sourire naît sur le visage de la fille, et Ephraïm regrette instantanément d'avoir utilisé le terme d'énergumène - parce que selon John, personne n'utilise ce putain de mot, et que...

- Et je suis désolée de vous avoir abandonnée avant, ajoute-t-elle. Ce n'était pas très courageux de ma part, mais ce n'est pas comme si j'aurais pu vous défendre de toute façon. (Son regard tombe sur son sac à main.) Enfin, je suppose que j'aurais pu en assommer un avec ça, mais... 

- Vous avez bien fait de courir. (Comme il n'arrive pas à estimer si elle s'excuse vraiment ou si c'est plutôt par politesse, il préfère insister : ) Vraiment. Et puis, ce n'étaient pas après vous que ces malfrats en avaient, de toute façon.

   Mademoiselle Cagney s'adosse contre le dossier de son siège. Elle a toujours encore une jambe croisée sur l'autre, et Ephraïm essaye de se convaincre qu'il n'a pas besoin de se concentrer pour ne pas regarder ses chevilles.

- Ce n'était pas non plus après vous que les énergumènes en avaient non plus, si j'ai bien suivi, monsieur.

- Apparemment, les affaires de mon frère sont les miennes, aussi, admet-il avec une certaine amertume. 

   Sauf pour les bénéfices, évidemment. Mais pour se prendre un coup de poing en pleine rue, au nom d'un certain Billy Kimber, là Ephraïm est tout à fait la bonne personne. 

   La fille répond par un faible sourire compatissant. 

   Ils continuent le trajet en silence. Ephraïm aurait préféré que la conversation se poursuive, quitte à parler de la pluie et du beau temps, mais la dernière chose qu'il souhaite, c'est paraître trop insistant. D'autant plus qu'il voit que la course-poursuite d'avant ne l'a probablement pas laissée aussi indemne qu'elle ne l'avouerait, et pas uniquement parce que ses cheveux, si bien coiffés ce matin, ont désormais perdus toute structure. 

Ephraïm Shelby » Peaky BlindersOù les histoires vivent. Découvrez maintenant