3 novembre 1919, 22h41.
Watery Lane, Small Heath, Birmingham.
- Tu peux continuer à te cacher, Thomas, mais je sais que tu es là.
La lumière est éteinte. Toutes les rangées de bureaux, occupées en journée par les garçons qui s'occupent d'enregistrer les paris, ont été déserté il y a de nombreuses heures déjà.
Le plancher grince sous les pas de Polly Gray. Elle n'avait pas prévu de passer au bureau de paris, ce soir, mais en passant dans la rue, elle a vu une lampe allumée derrière la vitre du bureau de Tommy.
Maintenant qu'elle se tient devant la porte entr'ouverte qu'elle pousse, il fait évidemment nuit noir à nouveau.
Polly a l'impression de revenir vingt ans en arrière, quand elle allait disputer les gamins dans leur chambre le soir parce qu'ils lisaient en cachète après l'extinction des feux.
- N'est-tu pas un peu trop vieux pour ces jeux ridicules? (Elle attend un instant, puis Tommy, assis derrière son bureau, finit par tirer sur la cordelette pour allumer l'ampoule.) Bonsoir, Thomas. Cela faisait longtemps.
Il ne répond pas, parce qu'il est conscient que cela faisait, effectivement, longtemps que tante et neveu ne s'étaient pas retrouvés entre quatre yeux.
Polly va s'adosser contre le rebord de la fenêtre. En contrebas, elle observe un policier arrêter un homme visiblement en état d'ivresse ; tous les deux illuminés par la lumière d'un...
Et merde - c'est Arthur.
Bien sûr que c'est Arthur.
C'était il y a vingt ans, la période où j'étais censée m'occuper de vous. Pas maintenant.
- Combien de jours? demande-t-elle sans quitter un Arthur - désormais menotté - du regard.
- Excuse-moi?
- Combien de jours depuis que ton frère est rentré?
- Lequel?
Polly reporte son attention sur le second fils Shelby.
- A ton avis, Thomas? raille-t-elle un peu plus sèchement que prévu.
Tommy soupire, s'adosse contre son fauteuil, croise les doigts sur son bureau.
Un beau bureau en bois tout brillant, tout neuf. C'est vraiment fou, tous les beaux meubles qui apparaissent, ces jours-ci.
- Deux semaines? hasarde-t-il.
- Et depuis combien de temps m'évites-tu?
- Deux semaines aussi, marmonne-t-il en sortant une flasque de whisky qu'il conserve toujours sous sa veste.
Deux semaines, oui.
Deux semaines, que Polly a passées à courir après Thomas d'un côté, et Ephraïm de l'autre.
Le fait que le premier cherche à se faire tout, tout petit : cela est parfaitement logique. Tommy est beaucoup de choses, mais il est tout l'inverse de stupide.
Mais le fait que le second cherche à éviter Polly : cela...
- Il ne nous a pas dit un mot de ce qu'il s'est passé en France, Thomas. Ni à moi, ni à John.
Tommy prend une gorgée d'alcool.
- Peut-être qu'il en a parlé à Arthur, ou à Finn.
- Tu sais très bien qu'il n'en a parlé ni à Arthur, ni à Finn. (Polly lutte contre l'envie de lui arracher la flasque des mains.) Et à toi - il t'a dit quelque chose, à toi? Vous avez dû parler de la France, ou bien?
Est-ce que toi, tu lui as parlé aussi, Thomas? De ta France à toi? Si déjà tu ne nous en racontes rien à nous, peut-être qu'à Ephraïm, tu pourrais...
- Non, Polly, répond-il simplement en rangeant la petite bouteille.
- Mais vous avez bien dû parler de -
- Nous avons parlé des affaires, la coupe-t-il. Ce n'est pas ce que tu voulais? Qu'Ephraïm refasse partie intégrante de la famille?
- Pas quand il s'agit d'affaires de paris illégaux, et pas quand tu es la raison qu'Ephraïm ait quitté la famille en premier lieu.
Tommy ne cille pas. C'est une accusation que Polly lui a déjà jetée assez souvent, au cours des cinq dernières années, pour qu'elle ne lui fasse ni chaud, ni froid.
Mais une accusation que Polly n'arrêtera jamais de faire - elle se l'est juré.
Oui, Tommy est son neveu, et oui, dans un monde idéal, elle arriverait à comprendre son point de vue ; à arriver à envisager que, dans l'idée, il a véritablement essayé de faire ce qu'il pensait être la bonne chose...
... mais ce monde idéal, il n'existe pas.
On dit toujours qu'une mère n'a pas d'enfants préférés.
Tant mieux pour Polly : elle n'est pas la mère de ces gamins. Et Ephraïm...
Ephraïm, Ada, John et Finn.
Arthur et Thomas, ils étaient déjà plus âgés lorsque leur mère est morte, et avaient moins besoin de Polly qu'Ada, John et Finn.
Et Ephraïm, il n'était plus tout petit, certes, mais c'est Ephraïm.
Dans le bureau, Tommy se lève sans regarder sa tante.
- J'ai fait ce que j'avais à faire. (Toujours la même réponse ; toujours la même excuse. Il contourne son bureau, se dirige vers la porte mais s'arrête au dernier moment.) Et au cas où tu ne l'avais pas remarqué, Pol, ça a fonctionné. Ce que j'ai fait de si terrible à cette famille, comme tu le dis si bien, cela a putain de fonctionné.
Elle s'éloigne de la fenêtre et s'approche de lui.
- Ca, lui dit-elle en levant l'index de façon menaçante, tu n'en sais rien. On ne peut pas savoir comment Ephraïm réagira au moment où le moindre événement qu'il n'aura pas prévu se produira.
Tommy se tourne pour lui faire face. Il fut un temps, il y a vingt ans, où c'était encore Polly qui pouvait le regarder de haut.
- Ephraïm est revenu, et il va mieux. J'ai fait ce que j'avais à faire, pour mon frère. Et maintenant, il est rentré, et il va bien.
- Ephraïm n'ira jamais bien, corrige-t-elle sèchement. S'il y avait de l'espoir, avant, tu as...
- J'ai fait ce que j'avais à faire. (Il a haussé la voix, et Polly aurait presque eu un mouvement de recul.) J'ai fait ce que j'avais à faire, Pol, ajoute-t-il plus doucement. Et si c'était à refaire, je le referais. Parce que contrairement à ce que tu penses, tu n'es pas le seul à te soucier de lui.
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Ephraïm Shelby » Peaky Blinders
FanficBirmingham, 1919. Après de longues années de guerre, Ephraïm Shelby rentre dans sa ville natale, Birmingham. Pour des raisons obscures et pleines de suspense que je vous invite à découvrir, il ne s'attendait pas à des retrouvailles avec sa famille...