21 octobre 1919, 20h35.
Small Heath, Birmingham.
- Je vois que j'ai loupé un certain nombre de choses, commente Ephraïm tandis qu'Esme lui sert une tasse de thé.
- C'est c'qui arrive quand on abandonne sa famille pendant cinq putains d'années, rétorque sèchement cette dernière.
- Tu sais que dalle de c'qui s'est passé, Esme, la rembarre John. (Assis à côté d'Ephraïm autour de la petite table ronde, il le gratifie d'une tape dans le dos.) Laisse au mois à Eph le temps d'arriver, d'accord?
Esme garde le silence, mais au regard glacial qu'elle adresse au nouveau venu, Ephraïm devine que c'est le moment de se montrer tout petit.
Une étrange sensation, que de ne plus se sentir à sa place dans cette petite salle à manger dans laquelle il passait une grande partie de son temps quand il était gamin. Les meubles sont toujours encore les mêmes ; les tableaux de fleurs peints par leur mère n'ont pas été décrochés.
Ephraïm est assis sur la chaise qui grince, celle qui a toujours grincé et qui grinçait depuis tant d'années que personne n'a visiblement pris la peine de la réparer.
- Il est excellent, ce thé, commente-t-il en en prenant une gorgée brûlante.
- C'est le jus de mes putains de chaussettes. (Esme reste debout en croisant les bras.) C'est bon, hein?
- Excellent, répète-t-il en essayant d'ignorer la possibilité que cette femme ait possiblement pu avoir l'idée d'empoisonner son breuvage.
John, quant à lui, a une bouteille de bière à la main. Une boisson servie dans un contenant industriellement scellé, voilà ce qu'Ephraïm aurait dû choisir, mais il n'avait pas envie d'être celui qui, après cinq ans d'absence, se rue sur l'alcool dès son arrivée.
- Faudra qu'tu nous excuses, Eph, commence John. Ya que moi et Esme à la maison - apparemment, Tommy avait une affaire à régler, et il a emmené Arthur et Finn avec lui.
- Finn?
- C'est qu'il a eu dix-huit ans le mois dernier, le p'tit con.
- Je sais. Je lui ai envoyé une carte, comme chaque année.
Silence. John évite son regard.
- Ouais, c'est c'que Tommy a dit.
- Tommy a dit que j'avais écrit une lettre à Finn? (Ephraïm essaye d'assembler les pièces du puzzle.) Est-ce que Finn a eu ma lettre?
- Beaucoup de choses ont changé sans vous, monsieur Shelby, raille Esme avec une dose certaine de condescendance.
Mais cette fois-ci, John ne retient pas sa femme.
Bon. Ephraïm s'était préparé à bien pire, en ce qui concernait ses retrouvailles, et le fait que ce soit John qu'il ait vu en premier indique que la chance était tout de même un peu de son côté.
Mais cette chance, comme toutes les bonnes choses de la vie, ne va visiblement pas durer.
- Alors - (La voix d'Ephraïm lui semble même fausse à ses propres oreilles.) -, monsieur et madame John Shelby, est-ce que cela fait longtemps que vous êtes mariés?
- Un an, j'pense. Ou en tout cas, assez pour qu'un p'tit bébé puisse être en train de dormir à l'étage en ce moment même, ajoute John avec l'ombre du sourire.
- Un bébé? Jésus, John, félicitations. Et à vous aussi, Esme.
- Elle s'appelle Teresa, comme ma sœur. Un prénom honorable, pour un bébé honorable d'une famille honorable.
Teresa Shelby. Cela sonne bien, décide-t-il.
- Et Ada... (Ephraïm s'en veut de devoir poser cette question à son propre frère.) Ada a eu un fils aussi, ou bien?
- Ada a eu un fils, confirme John. Né six mois avant notre Teresa. Karl, qu'il s'appelle, pour Karl Marx.
- C'est très Ada, en effet. Et, son père est...
- Mort. Le typhus. (Silence, durant lequel John n'ose pas demander qui...) C'était ce con de Freddie Thorne.
Freddie -
Putain.
Putain de merde.
- Notre sœur a eu le gamin du putain de Freddie Thorne?
- Ils étaient mariés, intervient sèchement Esme. Parce qu'ici, nous sommes une famille respectable.
- Ils s'étaient mariés en cachette, nuance John avec un demi-sourire. T'imagines pas ce qu'ça a donné quand Tommy l'a appris. Au début, c'était la fin du monde, mais finalement... Tommy avait fini par faire la paix avec ça, avec Freddie. (Son visage s'assombrit et il prend une gorgée de bière.) Dommage que ce con soit mort quelques semaines plus tard.
- Et Ada? Comment va-t-elle?
- Communistement bien, ou quelque chose comme ça. Elle est trésorière de la section locale de la ville. C'est son job à temps plein - ça, et le p'tit Karl Marx. Ils habitent un p'tit appartement deux rues plus loin.
John fait un signe de la tête en direction d'Esme pour lui indiquer d'arrêter de rester plantée debout et de venir s'asseoir. D'abord, elle n'en fait rien, mais finit par s'exécuter.
Pas par docilité - par curiosité, cela se voit.
- Mais assez parlé de nous, Eph, enchaîne John. Dis-nous un peu ce qu'toi t'es devenu, pendant ces cinq putains d'années. Tu n'as pas ramené de gamins avec toi, ou bien?
- Grand Dieu, non.
- Et une poulette? Une femme?
- Non plus. Même si Birdie m'a récemment prédit que je n'aurais plus à attendre longtemps de ce côté-là, ajoute-t-il avec une ironie certaine.
- Birdie? Tu as vu Birdie?
- Hier après-midi. Je suis passé la voir avant de venir à Birmingham. (Il prend une autre gorgée du thé.) M'a dit de vous passer le bonjour. (Birdie Boswell n'a évidemment rien fait de tel, et Ephraïm est persuadé que personne dans cette pièce n'irait imaginer une telle chose.) Ils avaient l'air en bonne forme, les Boswell. L'air frais des forêts, ce genre de choses.
- Nous devrions aller rendre visite à ta grand-mère, John. Elle n'a même pas rencontré Teresa.
- Dans ses rêves, elle la connaît sûrement mieux que nous, marmonne l'intéressé. (John secoue un peu la tête.) Mais on n'est pas non plus ici pour parler de la vieille Birdie. Parle-nous de toi, Eph. Qu'est-ce que tu as fait, pendant tout ce temps? (Il se penche en arrière et inspecte son frère de la tête aux pieds.) T'as des vêtements neufs, ou bien? T'as de l'argent?
- J'ai dû économiser pour me les acheter. (John et Esme échangent un coup d'oeil qu'il n'arrive pas à interpréter.) Qu'est-ce qu'il y a?
- Nah, rien du tout. C'est juste que Tommy est aussi revenu avec un costume neuf ce matin, sauf que... Oh, et puis merde : les affaires de Tommy, tu les verras avec Tommy, hein? J'suis pas son putain de messager. Mais c'est bien, enchaîne-t-il, ton nouveau costume. Te va bien.
Ne sachant quoi répondre à cela, Ephraïm acquiesce silencieusement.
Oui, vu le prix, il y a intérêt que le costume lui aille bien. Mais ce n'est pas la conversation qu'il avait anticipée pour aujourd'hui.
- Bien, intervient Esme comme si elle venait d'arriver à la même conclusion, et si on en venait aux choses sérieuses? Pourquoi est-ce que vous avez abandonné la famille il y a cinq ans, monsieur Ephraïm Shelby? Et pourquoi est-ce que vous vous imaginez pouvoir revenir comme une fleur maintenant?
Voilà -
Enfin.
Une excellente question, totalement justifiée, à laquelle Ephraïm était tout à fait enclin à répondre, au moins partiellement.
Mais c'était avant d'être surpris par quelques petites tournures qu'a pris cette première conversation.
- Que vous a exactement dit Tommy, par rapport à cela?
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Ephraïm Shelby » Peaky Blinders
FanfictionBirmingham, 1919. Après de longues années de guerre, Ephraïm Shelby rentre dans sa ville natale, Birmingham. Pour des raisons obscures et pleines de suspense que je vous invite à découvrir, il ne s'attendait pas à des retrouvailles avec sa famille...