── Chapitre 98 : Orla.

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   31 janvier 1920, 10h31.

   Eglise St Mathews, Small Heath, Birmingham.

   Quand Orla est entrée dans l'église il y a une demi-heure, c'est à peine si elle a pris conscience de la musique d'orgue qui inondait le lieu. 

   Quand Orla a monté les deux marches jusqu'au choeur en serrant la main qu'Ephraïm lui tendait, c'est à peine si elle a compris les mots qu'il lui a chuchotés au passage.

   Quand Orla a dû répéter les mots du prête, c'est à peine si elle a réussi à assez se concentrer pour entendre ce qu'elle devait dire.

   La seule chose qu'elle entendait parfaitement, à partir du moment où elle est descendue de la voiture décorée de fleurs un peu plus tôt, c'était le bourdonnement de son cœur dans ses oreilles. Un rythme - heureusement ! - incessant, qui lui a donné l'impression d'être enfermée dans une bulle tout au fil de la cérémonie.

   Elle s'est sentie étrangement coincée dans son propre corps, et a eu étrangement l'impression de flotter à travers toute la scène. Si Ephraïm n'avait pas tenu ses deux mains entre les siennes tout le long, peut-être qu'elle aurait bien fini par s'envoler dans les airs à la manière d'un ballon de baudruche.

   Mais il était là, et il il a tenu ses mains dans les siennes tout le long.

   Pendant les premières minutes de la cérémonie, où elle était Orla Cagney, jusqu'aux dernières, où le bon Dieu, assisté par monsieur le prêtre, ont fait d'elle Orla Shelby, née Cagney.

   Et où le pauvre Ephraïm Shelby est devenu Ephraïm Shelby, le pauvre malheureux coincé pour toujours avec cette irlandaise qui puait le poisson le premier jour où ils se sont croisés.

- Tu ne regrettes pas encore? 

   Voici les premiers mots qu'Orla parvient à prononcer. Ils viennent de traverser l'allée centrale de l'église en sens inverse, en direction des portes ouvertes en grand, sous les applaudissements et les cris de joie des invités.

- Oh, si. (Il passe son bras gauche autour des épaules d'Orla et tient les doigts d'Orla dans sa main droite.) Je regrette terriblement, madame Shelby, vous n'imaginez pas.

- Malheureusement pour vous, il est déjà trop tard, dit-elle avec un sourire faussement désolé.

- Mince, soupire Ephraïm. Et bien, dans ce cas, je vais devoir faire avec.

   Ils arrivent sur le parvis de l'église. A nouveau, c'est à peine si Orla entend le bruit de la foule réunie en arc de cercle autour d'eux - plus à cause du bourdonnement dans ses oreilles, mais à cause d'Ephraïm.

- Je vous souhaite bien du courage dans votre nouvelle vie, mon bon monsieur, dans ce cas, lui dit-elle en levant la tête dans sa direction.

- Merci - (Ephraïm fait glisser le bras de ses épaules jusqu'à sa taille.) - je sens que je vais en avoir besoin. Mais vous aussi, madame, je pense qu'il faudra un cœur bien accroché pour affronter votre nouvelle existence.

   Comme pour sceller cette promesse, et parce que c'est ce que les invités semblent attendre (et parce qu'il en a envie, aussi, j'espère ! ), Ephraïm se penche vers Orla pour l'embrasser.

   * * *

- Ephraïm, fais quelque chose ! crie Orla. Ephraïm !

- Arrête de bouger dans tous les sens, ou tu vas finir par tomber, crie John par-dessus le boucan environnant en ignorant soigneusement les cris de détresse de la jeune mariée depuis avant.

Ephraïm Shelby » Peaky BlindersOù les histoires vivent. Découvrez maintenant