── Chapitre 38 : Orla.

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   28 novembre 1919, 20h59.

   Small Heath, Birmingham.

- Orla?

   Elle ne relève pas la tête de son travail lorsqu'elle entend Jessie l'appeler, sa voix étouffée derrière la porte d'entrée fermée.

- Une seconde, répond Orla en se levant du tapis sur lequel elle avait élu domicile.

   Ce formulaire, il va sur cette pile... Celui-là, ici...

   Tout en slalomant entre les dizaines de feuilles de papier qui parsèment le sol, elle arrive en chaussettes devant la porte qu'elle ouvre.

- Bonsoir, Jessie, la salue-t-elle sur un ton étrangement dynamique.

- Bonsoir, Orla... (Un voile de suspicion recouvre son visage.) Est-ce que tout va bien?

- Parfaitement, répond-elle en lui faisant de la place pour qu'elle puisse entrer dans le minuscule appartement.

   Composé d'une cuisine dans l'entrée et d'une chambre à droite, c'est le loyer le moins cher pour un deux pièces qu'elle a trouvé dans le quartier. Au départ, elle pensait se contenter d'un studio, mais lorsqu'elle a signé son contrat avec Shelby Company Limited et a vu sa paye, elle a estimé que pour la peine, elle pourrait aussi avoir une minuscule cuisine séparée de son lit.

   Mis à part ce luxe qui ferait pâlir le château de Versailles, l'appartement ne diffère cependant pas de ce qu'Orla a connu toute sa vie : des endroits propres, mais vieillots ; des murs qui tiennent debout, mais qui laissent passer tout le froid et l'humidité en hiver ; un plancher qui n'est pas recouvert d'échardes, mais qui grince tellement que cela ne l'étonnerait pas qu'elle finisse par passer à travers un jour.

   En plus de la cuisine séparée, la grande amélioration concerne le nombre de fenêtres : Orla en dispose de trois à elle toute seule (une dans la cuisine, deux côte à côte dans la chambre), ce qui ne lui était jamais arrivée avant. Elle a même dû acheter deux nouveaux rideaux (une sorte de fausse dentelle premier prix, à motifs floraux obscures), ce qui ne lui était jamais arrivé non plus.

- C'est joli, chez toi, commente Jessie tandis qu'Orla referme la porte derrière elle. (Jessie regarde autour d'elle.) Cela me fait bizarre, car ma chambre à moi, elle est sur la gauche, et non sur la droite.

   Jessie occupe l'appartement du dessous. Quand il s'est avéré qu'elle allait aussi débarquer à Birmingham, Orla a - sans vraiment d'espoir - demandé à sa logeuse s'il restait quelque chose dans le petit immeuble de trois étages. A sa grande surprise, c'était le cas.

- Tu veux boire quelque chose? (Orla se dirige vers l'évier - une sorte de bac en métal brut, qui pend un peu étrangement dans le vide.) Je peux te proposer de l'eau, ou... Du lait?

   Jessie s'adosse contre le minuscule plan de travail et secoue la tête.

- Ca ira, merci. Je suis juste venue pour que tu me racontes comment elle était, ta journée aux courses. (Sur un ton conspirateur, elle ajoute : ) Et s'il y avait un certain Lieutenant-Colonel qui y était aussi.

- C'était grandiose, répond Orla en s'appuyant contre le rebord de la fenêtre en croisant les doigts. J'ai gagné douze shillings entiers aux courses!

- Depuis quand est-ce que tu paries, toi?

- C'était la première fois de ma vie. (En se souvenant de la peur qu'elle avait eue, pendant la course, d'avoir potentiellement gaspillé de l'argent dûment gagné, elle ajoute : ) Mais c'est aussi la dernière. Ce monde n'est pas fait pour moi.

Ephraïm Shelby » Peaky BlindersOù les histoires vivent. Découvrez maintenant