── Chapitre 11 : Orla.

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   22 octobre 1919, 07h55.

   Small Heath, Birmingham.

   Le bruit métallique de pièces de monnaie insérées dans le compteur de la cabine téléphonique.

   Un écouteur décroché, puis porté à l'oreille.

   Une standardiste. Une adresse donnée.

   Veuillez patienter, je vous mets en relation.

  Dix, vingt, trente secondes.

- Allô?

- Jessie, c'est moi.

- Orla! Tu tombes bien, j'étais sur le point de partir pour le bureau.

   Sans peine, Orla imagine son amie se tenir sur le pallier de leur immeuble, où un téléphone pour tout le bâtiment a été installé le mois dernier. 

- Je sais - et promis, je ne te retiens pas longtemps. Je voulais simplement te dire que j'étais encore en vie, comme tu me l'as demandé.

- Tu étais supposée me dire cela hier, aussi, corrige Jessie avec un peu d'inquiétude dans la voix. J'ai eu le temps de m'imaginer mille scénarios catastrophe, dans lesquels tu t'étais faite enlever, tuer, ou pire.

- Et bien, pour ne pas te mentir, c'est partiellement ce qui s'est passé hier soir. Mais ne t'inquiète pas, j'ai survécu.

   Jessie soupire.

- Je suis sérieuse, Orla. 

   Moi aussi, Jessie, manque-t-elle de rétorquer avant de finalement décider de ne pas inquiéter inutilement son amie. 

- L'autre raison pour laquelle je voulais te téléphoner, dit-elle à la place, c'était pour te dire que je n'ai pas encore de piste à Birmingham, mais que j'ai, accessoirement, réussi à gagner un abonnement à vie à de la bière gratuite dans un pub de la ville. 

- Comment -

- C'est une longue histoire, que je te raconterai quand je rentrerai.

- Tu rentres dimanches, hein?

- Oui, dimanche. Promis juré. 

   Soit dans moins de 48 heures. Orla tortille nerveusement le câble du téléphone en pensant au peu de temps que cela lui laisse pour trouver Kieran.

- Va travailler, Jessie, dit-elle avec un sourire un peu forcé comme si son amie pouvait la voir. J'ai hâte que tu me lises tous les textes que tu auras écrit quand je reviendrai. 

- Moi aussi. A bientôt, Orla. Ne fais rien de stupide.

- Toi non plus. A dimanche.

   Orla attend que Jessie raccroche en première, puis garde l'écouteur jusqu'à ce que le temps d'appel pour lequel elle a payé soit définitivement écoulé. Même si cela ne sert à rien, cela accentue au moins un peu l'impression d'en avoir eu pour son argent.

   Une fois le dernier centime écoulé, elle sort de la cabine téléphonique. Elle avait tourné en rond dans plusieurs rues avant d'en trouver finalement une deux rues derrière le pub, près d'une usine métallurgique.

   Une bonne chose de faite.

   Tandis qu'elle traverse les rues boueuses, elle passe en revue son programme pour la journée. A 9h45, elle se mettra en direction de la centrale militaire de la ville - une seconde fois -, dans l'espoir que ses questions de la veille y trouvent peut-être une réponse aujourd'hui. Ensuite, et selon l'évolution de la situation, elle prendra un bus pour se rendre à la centrale militaire de Smethwick, une ville voisine, pour y voir si l'herbe y est plus verte. 

   Mais d'abord, elle retourne dans sa petite chambre (dans laquelle elle n'a, contre toute attente, pas été mangée par les insectes la nuit passée). La centrale militaire de Birmingham n'ouvre qu'à 10 heures, et elle n'a pas encore touché au pain et à la confiture qu'elle avait ramené de Londres, alors autant profiter de...

- Excusez-moi, mademoiselle?

   Au moment où Orla s'apprêtait à ouvrir la porte d'entrée de la maison en briques, elle se retourne pour faire face à...

   Quelqu'un qu'elle a déjà vu quelque part. Elle n'est pas très bonne avec les visages, mais elle est sûre d'avoir déjà vu cette tête - assez grande, sur un personnage franchement grand - quelque part.

   Des cheveux brun foncé soigneusement peignés, des yeux sombres, des vêtements un peu trop propres pour le quartier - où a-t-elle déjà vu ça? Où a t-elle bien pu...

- Je suis Ephraïm Shelby. Nous nous étions croisés dans la salle d'attente du Major, à Londres, il y a deux jours de cela.

   La salle d'attente - mais oui! Mais alors...

- C'était vous, cet Ephraïm? Alors que vous étiez là depuis le début? 

- Je ne savais pas que vous étiez à ma recherche, mademoiselle Cagney, répond-il poliment en se tenant les mains dans le dos dans un geste qui trahit une origine militaire. Je l'ai seulement appris hier soir. (Elle remarque un tendon qui se crispe dans sa mâchoire.) Il me semble que vous avez fait la connaissance de mon frère Thomas. 

   Au même moment, une automobile passe dangereusement près d'eux dans la rue, et Orla fait un pas vers l'arrière.

- Oui, je... commence-t-elle.

- Et si nous allions quelque part de moins risqué pour discuter un peu? intervient-il au même moment avant d'ajouter : Excusez-moi, je ne voulais pas vous interrompre.

   Un peu déstabilisée, elle lisse le pan de sa jupe noire.

- Oui, j'ai eu la chance de faire la connaissance de votre frère hier, reprend Orla. Et oui, je suppose que nous gagnerons en espérance de vie à ne pas rester plantés ici.

- Nous pouvons aller au Garrison, propose-t-il. Vu l'heure, il n'y aura personne.

   Orla devine que cette dernière phrase n'a pas été prononcée avec malice - ou en tout cas, elle l'espère -, mais elle a eu son lot de mauvaises surprises en décidant de suivre des hommes dans des lieux obscurs hier soir, alors...

- Il y a un parc public , sinon. (Il a parlé avant qu'Orla n'ait eu le temps de réfléchir à comment décliner cette proposition.) Il faut marcher un peu - ce n'est plus dans Small Heath, vous vous en doutez bien -, mais je connais un ou deux raccourcis. 

- Un parc, parfait! Et bien dans ce cas, je vous suis.

Ephraïm Shelby » Peaky BlindersOù les histoires vivent. Découvrez maintenant