1er décembre 1919, 14h59.
Royal London Hospital, Londres.
- Docteure. (D'un pas hésitant, Ephraïm entre dans la pièce.) Cela faisait longtemps.
- Prenez place, Ephraïm, l'accueille-t-elle en désignant le fauteuil faisant face au sien. Cela me fait très plaisir de vous revoir.
Bien qu'en soi, Ephraïm a toujours trouvé la Docteure Karishma Singh très sympathique, il ne peut cependant pas affirmer être ravi de la revoir aujourd'hui, plus d'un an après leur dernière rencontre.
Parce que s'ils se revoient, c'est parce qu'Ephraïm n'a pas réussi. A être... normal.
En France, la docteure le recevait dans un minuscule bureau sobrement décoré de l'asile. A l'époque, elle n'avait pas encore reçu le titre de docteure, d'ailleurs - elle occupait le poste de médecin assistante, avec près de 200 patients sous sa responsabilité.
Maintenant, son bureau est deux fois plus grand. Vêtue d'une robe bleue tout à fait ordinaire - elle n'a jamais porté la blouse blanche de ses collègues -, elle est assise dans un grand fauteuil en cuir. Celui dans lequel Ephraïm s'installe est sensiblement le même.
Comme en France, il n'y a pas de bureau entre eux. Et comme en France, il y a un canapé pour s'allonger dans un coin de la pièce, qu'Ephraïm a toujours soigneusement évité.
- C'est un joli bureau, que vous avez ici.
Il regarde par la fenêtre : la vue est obstruée par les branches nues d'un arbre planté juste devant. Au printemps, quand la météo est un peu plus belle, le cadre doit être plutôt agréable.
- Qu'est-ce qui vous amène aujourd'hui, Ephraïm?
Ah, son répertoire de questions n'a pas beaucoup changé! Et sa façon de les poser non plus : toujours de façon posée, neutre mais bienveillante. Avant elle, il était passé par le cabinet de nombreux médecins - majoritairement des hommes -, mais c'est seulement avec elle qu'il est parvenu à aligner quelques phrases cohérentes. Lorsqu'il lui avait une fois évoqué ce fait, la médecin lui avait répondu en souriant que lui aussi, il était son premier vrai patient qu'elle suivait sans supervision. (D'ailleurs, Ephraïm sait qu'elle a construit une grande partie de sa thèse de doctorat sur son cas : ce n'est probablement rien de quoi il a à être fier, mais peu de personnes peuvent se vanter de cela, ou bien? D'autant plus qu'en tant que première femme d'origine indienne à obtenir le diplôme, il a l'impression d'être témoin de quelque chose d'important.)
- C'est Thomas qui m'envoie, répond-il en posant ses mains à plat sur ses genoux pour éviter tout tic nerveux. Une fois de plus.
- Vous ne serez pas venu sinon?
- Ne le prenez pas mal, mais non. (Silence. Elle ne le regarde pas souvent dans les yeux, mais il devine qu'elle veut qu'il ajoute quelque chose. Parce qu'il l'apprécie bien, cette docteure, il s'exécute : ) Pour tout vous dire, je ne pense pas en avoir besoin.
- Qu'est-ce qui vous fait penser cela?
- Je me sens... bien. J'arrive à... Maintenant, je sens les crises venir, et j'arrive assez bien à anticiper, si je peux m'en vanter.
- Vous pouvez tout à fait. Comment est-ce que vous les sentez venir, ces crises?
En quelques minutes, il lui fait un résumé de tout ce qu'elle, elle lui avait appris il y a plus d'un an de cela : quand je sens que je vais paniquer, je respire et je me demande si je dirais au Ephraïm d'il y a vingt ans de s'inquiéter de la situation ou non. Je respire, je ferme les yeux, j'attends que la vague passe. Si elle ne passe pas, je marche. Si elle ne passe toujours pas, je cours.
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Ephraïm Shelby » Peaky Blinders
FanficBirmingham, 1919. Après de longues années de guerre, Ephraïm Shelby rentre dans sa ville natale, Birmingham. Pour des raisons obscures et pleines de suspense que je vous invite à découvrir, il ne s'attendait pas à des retrouvailles avec sa famille...