Chapitre 28 - T'as beau être chiant, je t'aime quand même

141 23 8
                                    

" L'amour n'a pas de fin heureuse, car le véritable amour ne se termine pas. „
 ~ Anonyme

——————————————————

- Quoi ? Tu viens de dire quoi, là ?

Katsuki me regarde calmement et fait un petit sourire triste en rangeant doucement la photo dans la poche avant de mon sac à dos. Puis il relève la tête et plonge son regard rubis dans mes yeux aussi rouges que les siens.

- Tu me manques... répète-t-il en levant sa main.

Je me fige et l'observe en silence, surveillant sa main du coin de l'œil. Une main couverte de cicatrices aussi fines que des griffures sur ses phalanges. Aussitôt, j'attrape sa main et regarde les cicatrices de plus près, ayant envie de poser mes lèvres dessus.

Il semble l'avoir senti et serre doucement ses doigts sur les miens tandis que je me perds dans la contemplation de ses blessures, n'osant plus le regarder dans les yeux. Son souffle chaud balaye mes mèches rouges, chatouille mon front, me fait rougir légèrement.

- Je me suis battu, dit-il, avec Himiko. C'était il y a quelques mois. Quand j'ai reçu ton mot. Quand ma sœur est venue pour mon harcèlement - non -, pour le harcèlement qui courait dans les couloirs du lycée. Pas juste le mien.

- Tu t'es battu avec Himiko, répétais-je. Pourquoi ?

L'hérisson se rapproche et pose son bras au-dessus de ma tête, me bloquant toute porte de sortie - je n'avais pas spécialement envie de bouger pour le moment d'ailleurs -, me plaquant presque contre les casiers. Je n'ose toujours pas lever les yeux, intimidé par celui que j'aime et ses blessures.

- Parce que... commence-t-il, tout tremblant. Parce que... je venais de sentir mon cœur imploser dans ma poitrine... Je venais de me prendre ton indifférence en pleine gueule... Je venais d'être blessé, d'être réellement blessé, par l'un des seuls êtres que j'ai pu aimer - et que j'aime encore - plus que ma propre vie...

Sa voix est rauque, comme avec une fêlure dans ses cordes vocales. Lentement, je lève la tête pour le regarder dans les yeux. Il colle nos fronts en fermant les siens, tout son corps tremble tandis que le mien semble vibrer de l'entendre se confier autant.

- Et ensuite ? fais-je doucement en caressant sa main, posant mes lèvres sur les cicatrices.

- Ensuite... j'ai été voir Mina - qui était en train de pécho Toru en salle théâtre - et on a parlé. Longtemps. Pinky m'a pardonné et m'a encouragé à te parler. Mais j'osais pas. Pas avant aujourd'hui. Je voulais...

Il s'arrête, prend une pause, je caresse sa joue et une larme s'accroche à ses cils blonds avant de couler le long de son visage. Nos souffles se mêlent et il reprend ensuite :
- Je voulais te parler aujourd'hui car... ça aurait été ma dernière chance. Dans quelques jours, je pars à l'autre bout du pays pour prendre le bateau et partir sur l'une des bases maritimes de l'armée, en haute mer.

- Tu vas entrer dans l'armée ?

Katsuki hoche simplement la tête et ouvre les yeux pour me regarder. Il retire sa main de la mienne et essuie mes larmes que je n'ai pas senti couler. Un petit sourire douloureux éclaire son visage et l'assombrit en même temps. Dans un mélange de clair-obscur. C'est étrange et beau à la fois...

- Pourquoi tu pleures, Baby Shark ?

- Parce que je t'aime encore, sale con ! m'écriai-je.

Il éclate de rire et je le suis doucement dans son rire. Puis notre fou rire s'éteint lorsqu'il pose brusquement ses lèvres sur les miennes. Mes mains s'accrochent à sa veste et le tirent vers moi.

C'est un baiser désordonné, brouillon, hâtif. Comme s'il devait être le dernier. C'est irréel.

Soudain il me porte par la taille et me plaque contre les casiers pour que je ne me fasse pas de torticolis. Mes jambes entourent sa taille pour le garder contre moi, ses mains sont sous mes cuisses, frôlant dangereusement mes fesses.

Puis on réalise enfin et on rougit en se regardant, comme deux fantômes hagards et fous. On colle nos fronts en reprenant notre souffle et Katsuki me repose à terre.

- C'était... Désolé, je.. J'aurais pas dû...

- Ta gueule, Katsuki. Juste, ta gueule.

- D'accord.

Je souris et reprends mon sac tandis qu'il s'écarte. Je fais quelques pas, ne me retourne pas, mime un téléphone avec ma main libre et laisse mes larmes couler tandis que je dis une phrase qui a intérêt à rester gravée dans sa mémoire :
- Appelle-moi entre deux missions en mer. Et passe me voir quand tu reviens mettre pied à terre.

Puis je m'en vais, quittant le couloir, puis l'établissement.

Sous le soleil de juin, tandis que les insectes volent et qu'une douce brise fait se balancer les branches des arbres, je marche sur le trottoir qui semble fondre sous la chaleur. Mes pas m'amènent chez la nouvelle demeure de ma grand-mère, cette femme qui avait tout vu avant moi, cette femme qui m'a souri jusqu'au bout. Cette femme dont j'ai eu honte d'aller la voir quand j'utilisais mon mal-être comme excuse pour éviter tout le monde, y compris les morts.

J'entre dans le cimetière et me balade dans les allées en souriant comme un gamin qui vient de sortir victorieux du cancer, comme un survivant après une catastrophe, comme quelqu'un qui vient d'avoir une bonne nouvelle. Comme quelqu'un qui vient de revoir un proche après une longue période sans nouvelle.

La tombe de Mamie Eirin se couvre lentement de mousse et je m'assieds devant elle, sortant un jus de fruit - celui à la mangue, le préféré de ma grand-mère. Je verse un peu de jus sur la terre qui l'engloutit, comme avide. Puis je bois aussi, à même la bouteille.

- Mamie... Déjà, je suis désolé. J'ai fait le con, tu serais pas fière de ton Eijiro. Mais tu sais, ça va, maintenant. Grâce aux autres. Hm... Que dire encore ? Pardonne-moi, j'ai encore du mal à me confier, le psy m'aide pour ça. Tiens, d'ailleurs, la psychologue, elle s'appelle Xia. C'est une orpheline. Bref. Je vais devenir peintre, j'ai commencé un tableau de toi. Et je suis encore amoureux de Katsuki.

Je me lève et regarde la tombe en souriant, et, avant de partir, je lâche :
- Il me manque déjà. J'espère que je saurai l'attendre. Je t'aime, mamie...

Un amour arc-en-ciel || KiriBakuOù les histoires vivent. Découvrez maintenant