Chapitre 37 : Elle aurait eu ses yeux

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"

Y a-t-il un mot pour décrire le manque de quelque chose qui n'a jamais existé ? Ou d'un sentiment d'amour qui n'a jamais vu le jour mais qui pourtant m'agresse le cœur violemment et m'empêche de tourner la page ?

C'est étouffant d'imaginer ton visage, tes petites mains curieuses et l'odeur intacte de ta peau qui vient se serrer contre moi. C'est encore plus déroutant d'y croire et de mourir une seconde fois quand je sais que tu ne viendras plus. Je suis qu'une mère à la dérive qui n'a jamais embarqué sur le grand bateau de la maternité.

"Elle aurait eu ses yeux !"

Les autres me le répètent souvent tu sais, tellement que je n'ai plus l'envie de les contredire. Pourtant c'est faux je le sais, tu aurais eu les miens. De grandes amandes noires, curieuses et douces face à l'atrocité du monde. Tu aurais eu tout de moi, la version belle et heureuse de mon histoire qui n'aurait jamais pris la mer et qui serait restée au sec, loin sur la rive.

"Et son père ?"

Lequel ? Celui que vous appellez Roi, ou celui que moi je vois comme le mien. Votre fichu roi... Ne lui donnez pas un titre qui n'a pas lieu d'être. On ne nomme pas un fou roi, simplement parce qu'il s'est assis sur le trône. Je ne vois rien en toi qui pourrait être lui. Et je ne me ferais même pas l'affront de croire qu'il puisse te ressembler, vous n'êtes pas de la même famille après tout. Tu aurais été toi, simplement toi.

C'est évident pour moi et pourtant ça reste un mystère pour les autres.

Finalement, je souffle et je souffre de devoir attendre le jour où nous serons réunis. Je ne suis pas si vieille, mais rien n'arrache plus le temps, que de vivre pour ce qui n'est pas. Je fuis mon passé, j'ignore mon présent et mon futur s'échappe.

Je sais qu'il y a tant de chose que j'aurais voulu t'apprendre, te montrer et te faire aimer.

Moi la première. J'aurai voulu que tu découvres à ton tour mon visage, mes cernes creusés et mon rire aphone. Tu m'aurais vu changer autant que je t'aurais vu grandir.

C'est idyllique je sais, mais tu n'es qu'un mirage alors laisse-moi le droit de te rêver.

Sans le rêve, sans la fantaisie ridicule que je m'oblige à croire, il n'y a plus que moi, les bras ballants et le regard triste. Tu n'es pas là, je ne peux pas te serrer dans mes bras. Personne ne viendra. Pas de ballons ou de banderoles multicolores dans les rues de la ville, ni de sourire fière sur la bouche de ton "père". De toute façon, il n'y à rien à fêter. Il n'y a pas de regard amusé des médecins de la cour ni d'agitation pour te préparer. En fait il n'y pas pas de bruits tout court. Personne ne parle, c'est à peine si on respire. Les secondes passent et je ne sens toujours rien, on ne vient pas te poser contre mon cœur, on m'interdit de te voir.

Et puis je comprends.

Tu n'es plus là, c'est seulement moi et mes pensées, mon vieux corps et ses cicatrices. 

Et puis dans la lumière de la lune, quand un jour j'ai compris que tu ne reviendrais pas, mon enfant, ma chair, l'essence de mon être, j'ai enfin trouvé la réponse. 

Il n'y a pas de plus belle place qu'à tes côtés, dans un lit froid, entouré de roses rouges et de lys blanc. 

Je m'en vais te retourner, dans l'espoir qu'un jour, on se rejoigne au bord de la mer. 

Pour toujours dans mon cœur, autant que tu as été ancré dans mon corps. 

A toi,"

Him Yeji, Ta mère.


Lost In Seven Hearts TERMINEOù les histoires vivent. Découvrez maintenant