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Aujourd'hui, je dois retourner chez ma mère. J'appréhende, une fois de plus, mais pour le bien de notre projet, je vais essayer de prendre sur moi encore plus que d'habitude.
Je prends mon aller et mon retour aux mêmes horaires que la semaine dernière.


En arrivant, elle me réserve un accueil un peu plus chaleureux que l'autre fois, ce qui me déstabilise fortement. Ça doit être la première fois qu'elle le paraît autant. C'est sûrement lié au fait que je ne sens pas une once d'alcool dans son haleine et que je n'en vois pas non plus dans ses yeux. Je suis automatiquement rassurée à l'idée qu'elle n'ait pas bu, parce qu'elle est plus gentille et plus supportable quand elle est sobre. En temps normal, ça me ferait peur mais je préfère me concentrer sur le positif et le fait qu'elle sera pleinement consciente d'elle-même pour répondre aux questions.

— Comment tu vas, ma chérie ?
— Ça va bien, et toi ? réponds-je en tentant d'y mettre un peu du mien.
— Super. J'ai une bonne nouvelle pour toi.
— Ah oui ?
— Je te dirai tout à l'heure, après avoir travaillé.
— Tu m'inquiètes, mais d'accord. On se met au travail, alors ?
— Oui. J'ai fait du thé, je me suis rappelée que tu aimais beaucoup ça...

L'attention me touche même si je reste quand même sur mes gardes. Le positif peut cacher beaucoup de choses avec elle. Je la remercie malgré tout par un sourire crispé.

Je bois une gorgée puis sors mon carnet et active le dictaphone sur mon portable.

— J'enregistre pour l'ami avec qui je fais ce projet, ça te va ?
— Pas de souci.
— Et tu ne devras pas mentionner que je suis ta fille, tu devras dire "ma fille", c'est tout, lui rappelé-je.
— Très bien.

J'inspire profondément et me lance:

— Alors, pour la première question, je voudrais savoir si tu sais depuis combien de temps dure cette grande consommation d'alcool que tu as ?

Elle inspire profondément à son tour et semble réfléchir. Je suis contente de voir qu'elle prend ce travail au sérieux.

— Je me rappelle avoir commencé à boire quand ma fille est rentrée à l'école maternelle, donc vers ses trois ans. Pendant de longues années, jusqu'aux vacances d'été avant qu'elle rentre au collège, je ne buvais que le soir, après l'avoir mise au lit, parce que je ne voulais pas boire devant elle. Ce n'était même pas tous les soirs à cette époque. Puis après...

Elle semble soudain avoir des difficultés à parler et je comprends que c'est un moment qui la touche personnellement.

— Après avoir été licenciée, reprend-elle, je me suis mise à boire, tout le temps, même la journée, et devant ma fille. J'ai aussi... commencé... (sa voix tremble légèrement et je mets automatiquement mon empathie de côté parce que je sais d'avance ce qu'elle va dire) j'ai commencé à devenir violente envers elle... envers ma propre fille...

Elle laisse sa phrase en suspens et une question me vient en tête:

— Quel genre de violence ?
— Physique, morale, peu importe... tant que je blessais ma fille autant que je l'avais été à son âge.

Je suis touchée en plein cœur. Je viens d'avoir en quelques minutes la raison de pourquoi elle est ignoble avec moi depuis toutes ces années: par vengeance. Je ravale mon dégoût et poursuis les questions.

— Est-ce que tu te considères comme ayant une addiction ?
— Oui, évidemment. C'est indéniable. Et même si je préfèrerais ne pas en avoir, ce n'est pas qu'une question de volonté malheureusement...
— Et comment tu vois ton rapport à l'alcool ?
— Je le vois comme quelque chose de mauvais, de négatif. Que ce soit pour moi ou pour les autres. Je sais que ce que je fais n'est pas bien, mais je continue à le faire parce que je ne connais que ça.

Nos coeurs entaillésOù les histoires vivent. Découvrez maintenant