Eliott commence à lire la lettre qu'elle lui a déposée en secret dans son sac pendant que nous autres étions dans le salon. Au fur et à mesure de sa lecture, des larmes naissent dans le creux de ses yeux et je le sens trembler à côté de moi. Une nouvelle fois, je me sens démunie, mais cette fois, je garde mes caresses réconfortantes et le laisse découvrir le contenu de cette lettre sans être dérangé.
Quand il finit sa lecture, les yeux embués de larmes, il me la tend. Je la prends et attends la confirmation de sa part pour la lire, qu'il me donne aussitôt.
Cher Eliott,
Je sais que tu ne veux sûrement plus entendre parler de nous, mais je me devais de te dire la vérité sur ce qu'il s'est passé le jour où nous nous sommes séparés de toi.
Ton père m'avait convaincue de dire à tout le monde que nous n'avions pas pu te garder à cause d'un gros problème financier, sans jamais préciser la nature de celui-ci. J'ai donc gardé le secret pendant toutes ces années, jusqu'à ce que Naël nous parle d'un certain Eliott, toi. Mon fils. Ce que je vais te dire va paraître dur à croire, et je te comprends si tu penses que c'est faux, mais je ne t'ai jamais oublié. Comment pourrais-je oublier ta bouille d'amour le jour où je t'ai porté pour la première fois dans mes bras. Je caressais tes petits bras potelés pendant que tu dormais et parfois, je te voyais sourire, deux petites fossettes faisaient leur apparition à chaque fois dans le creux de tes joues. Tu étais l'un des plus beaux bébés que j'ai jamais vus, et je ne dis pas ça parce que tu viens de moi. C'était la vérité. J'avais hâte de partager ma nouvelle vie à tes côtés, avec ton père. Mais très vite, les choses se sont compliquées... Ton père a perdu son travail quelques jours après que je sois rentrée à la maison en ta douce compagnie.
Dès qu'il a appris son licenciement, il a commencé à en vouloir à la Terre entière, même moi... et même toi. Ton père cherchait à se délaisser du rôle qu'il a joué dans la perte de son travail, quitte à remettre la faute sur les autres, surtout sur ceux qui ne pouvaient pas se défendre, comme un bébé. Comme toi.
Il a commencé à t'en vouloir d'être né, ne supportait plus de te voir en permanence dans chaque pièce où il allait, de t'entendre pleurer et même de devoir t'acheter à manger. Alors un jour, en rentrant d'une balade qui devait l'aider à réfléchir et à prendre du recul sur tous les problèmes qui nous tombaient dessus au niveau financier, il m'a posé un ultimatum. Celui-ci étant, et je me rappellerai toute ma vie de la phrase qu'il a prononcée, sur un ton si froid, si distant et dur : Il va falloir que tu choisisses entre lui et moi. Il ne pouvait pas vivre en ta présence alors il voulait qu'on t'abandonne pour retrouver notre ancienne vie mais je ne voulais pas. Au départ, je refusais, parce qu'il était hors de question que j'abandonne mon seul enfant juste parce qu'il n'avait pas été capable de se retenir de frapper son patron en plein dans le visage avec comme raison "Il le méritait, c'est tout." C'est l'excuse qu'il a trouvée pour son acte. Je n'ai jamais réussi à savoir la vraie raison, et même aujourd'hui, je n'en ai toujours aucune idée.
Mais les jours ont passé et il a commencé à remettre également la faute sur moi, menaçant de me laisser seule avec toi. C'était ma hantise. J'ai toujours voulu être mère, mais jamais dans ces circonstances, et je savais qu'il était capable de partir. C'est pourquoi j'ai fini par céder et nous avons trouvé un foyer qui semblait chaleureux puis avons fait toutes les démarches pour te laisser là-bas, dans ta nouvelle "maison".J'ai passé l'année qui a suivi à pleurer mon acte et ton absence. Je n'avais jamais ressenti un tel manque. Je rêvais de te reprendre dans mes bras et de pouvoir caresser à nouveau ton visage, revoir tes joues se creuser quand tu souriais et pouvoir sentir à nouveau ton odeur qui me berçait quand ça n'allait pas. J'ai fini par trouver la force de guérir avec le temps, priant de tout mon coeur pour que tu aies trouvé une bonne famille, et à en croire l'homme que tu as l'air d'être devenu, j'en conclus que tu as été recueilli par des personnes gentilles et bienveillantes, et j'en suis heureuse. Même si ce bonheur me brise tout autant parce que j'aurais tellement aimé être celle qui te racontait des histoires pour t'endormir, panser tes blessures et entendre mon prénom sortir de ta minuscule bouche...
Je sais que c'est de ma faute, enfin... de notre faute, à moi et ton père, et que je n'aurais pas dû le laisser me manipuler. L'amour peut être très beau, tout comme il peut être fatal selon à qui tu donnes ton coeur, parce que cette personne aura deux choix à partir du moment où tu lui auras offert : le chérir, l'apprécier et le garder précieusement ou le piétiner jusqu'à ce qu'il ne reste que de minuscules morceaux qui ne peuvent être recollés...

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Nos coeurs entaillés
RomancePlongée au coeur de son avant dernier semestre d'une licence de psychologie, Anna se retrouve bloquée à cause d'un important projet qu'elle ne veut surtout pas faire seule. A côté de ça, sa vie d'étudiante est rythmée par son travail de libraire et...