Ce matin, j'ai du mal à me concentrer durant les cours. Je repense sans cesse à mon cauchemar. Ça faisait un moment que ça ne m'était pas arrivé. C'est d'ailleurs pour éviter ce genre de chose que je dors généralement avec de la musique, mais hier soir, j'étais persuadée qu'après ma conversation avec Théo, j'allais pouvoir dormir sans musique sans problème. Il s'avère que je me suis trompée et ça me rend triste de me rendre compte qu'après tout ce temps, je ne vais toujours pas mieux.
Je sais que je devrais aller voir une psychologue pour parler de tout ça, mais j'ai cette habitude de ne pas vouloir parler de mes problèmes et puis, comme ma mère me l'a souvent dit, il y a pire que ça dans la vie, et qu'il y a surtout des mères pires qu'elle. C'est sûrement vrai, et je ne dirai jamais le contraire. Mais est-ce que sous prétexte qu'il y a pire que soi, on n'a pas le droit de souffrir pour des choses qui peuvent être aux yeux des autres moins graves, parce que "il y a des enfants qui meurent de faim dans le monde", par exemple ? Ça me brise le cœur de savoir ça, mais je pense être légitime de dire que, même si je suis d'accord avec le fait qu'il y a pire que moi, ce que j'ai vécu n'est pas normal non plus et que ma douleur et ma colère sont justifiées. Je garde malgré tout en tête que oui, j'ai accès à de la nourriture, l'eau potable, j'ai un endroit où habiter, accès aux études et tout le reste et je ne cracherai jamais sur ces détails-là, mais j'ai le droit d'avoir mal, moi aussi, même si je ne suis pas la plus à plaindre.
Je secoue la tête pour ne plus penser à tout ça quand Eliott entre dans mon champ de vision. J'aime beaucoup comment il est habillé aujourd'hui. Il porte un pantalon beige d'une matière qui paraît douce avec un pull en laine d'un beau vert kaki. C'est vraiment un style qui lui va bien. J'en viens à me demander s'il a quelque chose de prévu en particulier après le cours. Je ne m'attarde pas sur lui plus que ça et me concentre sur le cours avec difficulté. À vrai dire, le seul cours qui m'intéresse réellement le mercredi est celui d'addictologie.
À midi, Louise, Mattéo, Eliott et moi allons manger au restaurant universitaire. Je remercie silencieusement Louise de ne pas me poser de question à propos de cette nuit et de surtout ne pas y faire référence auprès des garçons. Elle en a peut-être déjà parlé à son copain mais si c'est le cas, il ne laisse rien paraître.
— Anna ? m'interpelle Eliott, me tirant de mes pensées.
— Oui ? réponds-je, distraite.
— Je dois passer un appel avant le cours d'addictologie tout à l'heure, est-ce que ça t'embête de prévenir le prof que j'aurai un peu de retard, s'il te plaît ?
— Non, t'inquiète, pas de souci.Je sens que Louise et Matéo nous scrutent du regard. Je les comprends, je crois que c'est la première fois qu'Eliott et moi avons un échange aussi calme, bien que banal, depuis longtemps.
Après avoir déposé nos plateaux, on sort du RU. Louise et Matéo repartent dans leur bâtiment et moi et Eliott repartons vers le nôtre. Le trajet se fait dans un silence total mais ça ne me dérange pas. J'avoue qu'après cette nuit, même la présence de ce mec est apaisante. Je n'ai pas envie de me retrouver seule aujourd'hui.
Je m'assois au milieu de la salle et attends que le prof arrive. Dès son arrivée, je m'empresse aussitôt de le prévenir du retard d'Eliott puis retourne m'asseoir. Ce dernier arrive comme il l'avait dit quelques minutes plus tard et se place à côté de moi. C'est vraiment la première et seule fois que je décide de le laisser faire sans lui faire de remarque.
— Merci de l'avoir prévenu, chuchote-t-il en se tournant un peu vers moi.
— Aucun souci, réponds-je simplement.Nous ne nous adressons pas un mot jusqu'à la fin du cours. Je suis beaucoup trop concentrée dans le cours pour tenir une conversation de toute manière.
Aujourd'hui, on s'intéresse aux psychotropes. Ils sont organisés en trois classes: les dépresseurs ou psycholeptiques, comme l'alcool, la morphine, ou encore l'héroïne. Ils ralentissent le fonctionnement du système nerveux et certains d'entre eux peuvent même aller jusqu'à provoquer une dépendance physique à forte dose voire des conséquences physiologiques graves. Je pense aussitôt à ma mère qui est alcoolique depuis des années. Ensuite, il y a les stimulants ou psychoanaleptiques, comme les antidépresseurs, le café, ou le tabac et d'autres, qui vont stimuler le système nerveux et qui peuvent également induire une dépendance. Et enfin, il y a les perturbateurs ou psychodysleptiques qui sont des hallucinogènes qui viennent perturber le fonctionnement du système nerveux ainsi que la perception de la réalité. Heureusement que ma mère n'en prend pas, me dis-je intérieurement.
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Nos coeurs entaillés
RomancePlongée au coeur de son avant dernier semestre d'une licence de psychologie, Anna se retrouve bloquée à cause d'un important projet qu'elle ne veut surtout pas faire seule. A côté de ça, sa vie d'étudiante est rythmée par son travail de libraire et...