Nos coeurs entaillés

18

Mercredi.

La journée est triste, fade. J'ai l'impression de ne plus voir les couleurs.

J'ai demandé à Éric de me dispenser des cours de patinage, prétextant être trop malade pour y aller. Il m'a crue. Je passe alors tout mon temps dans mon lit à repenser à ces derniers jours. Heureusement que Netflix est là pour me tenir compagnie et même si c'est douloureux, j'ai décidé de finir Sex Education sans Théo. Je suis arrivée à la fin de la saison deux. D'un côté, cette série me redonne espoir en l'amour mais de l'autre... elle me brise le cœur une deuxième fois.

Mardi soir, après le départ d'Eliott.
Je pleure sans m'arrêter au beau milieu du salon. Louise devrait rentrer d'une minute à l'autre et même si je n'ai pas envie qu'elle me voie dans cet état, je n'arrive pas à bouger.
J'en ai vécu des choses dans ma vie... Mais la tromperie était quelque chose que je ne pensais jamais vivre. Pourquoi est-ce que j'ai l'impression que c'est pire que tout ce que j'ai subi de la part de ma mère alors que ça ne l'est pas ?

On ne pourra jamais finir Sex Education ensemble avec Théo... Je ne rencontrerai jamais ses amis et sa famille... J'ai oublié de récupérer le pyjama que j'avais laissé sur son lit... Un nouveau torrent de larmes me submerge en réalisant à quel point ces pensées sont futiles alors que j'ai plus important à penser. Comme le projet. Comment est-ce qu'on va faire avec Eliott pour finir le projet sans se parler ? Je savais que c'était une mauvaise idée de me mettre avec lui....
Mes pensées n'ont aucun sens. C'est le désordre total dans ma tête.

De la musique.

Il me faut de la musique.

Jeudi.

J'ai fini la troisième saison de Sex Education et j'ai subitement envie de faire un câlin aux personnages de la série.

Je ne mange plus. Je n'ai plus la force. C'était déjà compliqué avant de me nourrir mais là, c'est pire que tout. Même quand Louise m'apporte un plateau repas directement dans ma chambre, je n'y arrive pas. Je vois bien qu'elle s'inquiète, elle ne m'a jamais vue dans un état pareil en presque six ans d'amitié. Quelque part, m'en veux qu'elle se sente ainsi à cause de moi, mais je n'arrive pas à faire autrement, je suis incapable d'ingérer quoi que ce soit. Je tente déjà de gérer mon coeur brisé alors je ne suis certainement pas en état de gérer aussi la peur de grossir en mangeant, surtout quand je suis dans un état aussi misérable que celui-ci.

Mardi soir, après le départ d'Eliott.

— Anna ?! s'inquiète-t-elle en me voyant effondrée sur le sol. Anna, Eliott m'a tout raconté. Il était encore en bas quand je suis rentrée.

Je ne suis capable que d'émettre quelques gémissements.

— Est-ce que tu pourrais te lever pour qu'on se pose sur le canapé ? Tu y seras plus confortable...

Je m'exécute machinalement, tel un robot et m'assois sur ce maudit canapé là où j'ai passé une soirée entière à rire avec Théo, en regardant des Disney et à se faire découvrir nos films préférés.

— Je le déteste, Louise... Je le déteste.
— Je sais bien... Je te promets que ça va finir par passer.
— Oui... J'ai vécu pire, je le sais mais il n'avait pas le droit ! m'exclamé-je en relevant brusquement la tête vers ma meilleure amie.
— En effet. Malheureusement, il l'a fait et j'ai envie de le tuer juste pour avoir fait du mal à ma meilleure amie. Les premiers jours, je ne vais pas te mentir, et je pense que tu le sais déjà, ça va faire très mal. Tu vas avoir l'impression que tu auras un couteau dans le cœur à chaque respiration, que le monde s'est effondré et que rien ni personne ne pourra jamais le reconstruire. Ton cœur saigne, brûle, mais c'est normal. C'est un peu comme si tu t'écorchais le genou. La plaie est ouverte, à vif, dans un premier temps. Puis au fil du temps, elle va commencer à guérir, à cicatriser et à partir d'un moment, cette blessure ne te fera plus mal. Tu peux en garder une cicatrice ou non. Ton chagrin, c'est un peu la même chose. Même si on ne la voit pas, c'est une plaie qui est encore ouverte puisqu'elle est récente, mais cette ouverture n'est pas éternelle. Il faut que tu te laisses le temps de guérir. Je ne te demande pas de lui pardonner, il ne le mérite pas. La seule personne qui mérite un pardon, c'est toi-même.
— Me pardonner de quoi ? je demande.
— Parce que je sais que tu t'en veux, culpabilises, te dis que tu aurais dû voir les signes. Tu te dis sûrement aussi que tu es nulle, pas suffisante, mais c'est faux. Tu n'es en aucun cas coupable des erreurs de quelqu'un d'autre. Tu dois te pardonner pour ne plus ressentir tout ça et avancer. Ça risque de prendre du temps avant de réussir, mais tu es une des personnes les plus résilientes que je connaisse, alors je sais que tu réussiras, peu importe le temps nécessaire à ça. Je serai là, avec Matéo, et Eliott aussi.
— Pff, Eliott...
— Il m'a expliqué ce qu'il a fait, ou pas fait plutôt... Est-ce que tu veux juste une oreille attentive ou mon avis est souhaitable sur cette situation ?
— Je veux bien ton avis...
— Je pense que dans ce genre de situation, ce n'est jamais facile de savoir quoi faire. Il n'y a pas vraiment de bon ou mauvais choix à mes yeux. Dans tous les cas, c'est une situation qui fait souffrir. Personne n'a envie d'apprendre que son copain a été infidèle et personne n'a envie d'annoncer ça à ses amis parce qu'on a été témoin de cette infidélité. Je suis aussi d'avis que c'est à celui qui a trompé son partenaire d'avouer ses torts. Cependant, il y a des situations plus délicates, comme la tienne, parce que Théo n'aurait certainement jamais été honnête avec toi sur ce point-là, mais Eliott a tenu à lui laisser une chance de l'être, qu'il n'a pas saisie, malheureusement.
— Je suis d'accord mais... Putain... C'est dur. J'en veux à Eliott d'avoir fait semblant de croire en Théo et moi samedi soir, tout en sachant ce qu'il faisait dans mon dos...
— J'avoue que sur ce point-là, il n'aurait certainement pas dû faire ça. Mais je suis sûre qu'il ne pensait pas à mal.
— Peut-être...
— Laisse du temps au temps, Anna. Je te promets qu'un jour ou l'autre, tu ne penseras même plus à ce connard.
— J'espère bien, dis-je en souriant tristement.