Le manuel de la farouche guerrière

4. La vie après le massacre

Il fallut des mois pour reconstruire le village. Tout le monde était traumatisé. Katt commençait à comprendre qu'elle avait perdu ses parents à jamais et que cette blessure ne guérirait pas. La nuit, elle faisait des cauchemars et le jour, elle pleurait. Elle se sentait horriblement vide.

Elle habitait maintenant chez son oncle Vart, la seule famille qui lui restait. Son oncle était plutôt gentil, il s'occupait d'elle et faisait en sorte qu'elle puisse manger tous les jours et s'habiller décemment. Cependant, il ne savait pas très bien comment on élève une enfant. En outre, lui aussi restait traumatisé par la mort de sa sœur et de son beau-frère et pouvait rester des journées entières sans parler. Katt devait bien faire avec.

Elle relisait son prédilivre, qui portait maintenant une ligne de plus : La farouche guerrière survit au massacre de son village et apprend les arts du combat. Ouais. Le livre aurait quand même pu la prévenir que ses parents allaient être en danger pour qu'elle les mette à l'abri. De toute façon, apprendre les arts du combat lui convenait très bien. Elle savait que c'était Kronnart, l'infâme tyran, qui avait donné l'ordre de tuer ses parents et elle voulait le lui faire payer.

Elle alla donc voir Stenvald et lui fit part de son projet. Celui-ci se rembrunit.

- Je ne sais pas si c'est vraiment une très bonne idée. On est encore des enfants et...

- C'est écrit dans mon prédilivre que je vais faire ça !

- Oh, très bien alors ! Je vais t'aider.

Il se procura un livre sur les arts du combat. Katt s'inspira des images pour se fabriquer elle-même une hache, un bouclier, un arc et des flèches. Passer du temps dans cette forge où elle avait tant aimé regarder son papa travailler représentait une grosse douleur mais en même temps, cela lui apportait beaucoup de réconfort.

Seule, elle apprit le maniement des armes. Elle y passa ses dimanches et ses soirées jusqu'à ce qu'elle remarque que d'autres enfants la suivaient quand elle allait s'entraîner. Elle leur proposa alors de préparer et de former ensemble une petite armée.

Tierna elle-même, anciennement une pacifiste, lui demanda de lui apprendre à manier l'épée. Elle aussi était traumatisée par ce qui venait de se passer et elle voulait être prête au cas où tout cela se reproduirait. Elle aida Katt à inventer et perfectionner des techniques de combat et, de fil en aiguille, elle devint son bras droit au sein de sa petite armée. Katt, qui s'entendait si mal avec la plupart des filles, était ravie d'avoir une alliée et une amie sur qui elle pouvait compter. Si les envahisseurs revenaient, elles sauraient quoi faire.

*

Les années passèrent. Katt avait maintenant quinze ans. Elle était capable de tenir tête à n'importe quel homme lors d'un combat. Au village, tout le monde la respectait et la craignait car elle avait un prédilivre argenté et un destin.

Stenvald était toujours son meilleur ami, ce qui pouvait sembler surprenant étant donné que tout les séparait. Elle avait un tempérament explosif, lui s'avérait beaucoup plus introverti. Elle ne sortait jamais sans sa hache tandis que lui préférait étudier. Elle avait bien essayé de lui apprendre quelques techniques de combat et il avait obtempéré pour lui faire plaisir, mais il l'avait fait à contrecœur et n'avait jamais obtenu de résultats exceptionnels sur le terrain.

- C'est dommage qu'on n'ait pas assez de livres, lui dit-il un jour.

- On ne peut pas tout apprendre dans les livres !

- Je parie que si. J'ai entendu dire que dans la ville de Karloth, il y a une bibliothèque géante avec des livres sur tous les sujets ! Je parie qu'on peut y trouver une réponse pour tout : qui on est, d'où vient le monde, pourquoi on doit obéir aux prédilivres, pourquoi Kronnart nous tyrannise, pourquoi les tartines tombent toujours côté beurre...

- On n'a qu'à mettre du beurre entre deux tranches de pain, tu sais. On pourrait appeler ça une tartine double. Et pour le tyran, on n'a qu'à aller le tuer et tout finira bien.

- Pour le moment, c'est pas écrit dans nos prédilivres...

Il attrapa son livre argenté, l'ouvrit et resta surpris. Une nouvelle phrase se trouvait maintenant écrite.

- Stenvald part pour Karloth avec Katt, lut-il à voix haute. Et toi, t'as quoi ?

- Katt part pour Karloth avec Stenvald.

Les deux amis échangèrent un long regard, puis rassemblèrent leurs bagages. Après tout, les prédilivres avaient toujours raison. En outre, Stenvald avait très envie de visiter cette grande bibliothèque et d'apprendre plein de trucs, et Katt voulait simplement voyager et découvrir des horizons nouveaux.

Katt alla voir son oncle et lui expliqua tout. Il hocha la tête, la serra dans ses bras et lui recommanda de ne pas boire d'alcool, de se coucher tôt et de bien se nettoyer les dents tous les soirs. Il lui donna aussi un peu d'argent pour qu'elle s'achète une jolie robe et lui demanda gentiment si elle pouvait lui apporter une bouteille d'alcool de menthe comme on en fabrique à Karloth. Il en avait goûté une fois, une dizaine d'années plus tôt, et il avait trouvé ça très bon, en plus ça aide à digérer. Et il l'aimait très fort et il espérait qu'elle allait bien s'amuser.

Katt sortit sans prendre le temps de lui expliquer qu'elle n'avait plus porté de robe depuis qu'elle avait sept ans. Elle se rendit ensuite chez Tierna et lui annonça son désir de partir. Tierna ouvrit des yeux ronds et s'écria :

- Tu nous laisses tomber comme ça ?!!

- Il faut que je parte à la recherche de mon destin. Je te confie l'armée.

Tierna consulta son propre prédilivre, mais celui-ci était noir et rien n'indiquait qu'elle allait suivre son amie à Karloth. Déçue, elle la serra dans ses bras et lui promit qu'elle ne l'oublierait jamais.
C'est ainsi que Katt et Stenvald quittèrent leur village.