8. La forge

16 5 14
                                    


Elle trouva une forge sans trop de difficulté et annonça qu'elle cherchait du travail. Le patron la regarda des pieds à la tête, puis de la tête aux pieds et annonça :

- J'ai déjà une réceptionniste.

- Non, je veux être assistante forgeronne. Je sais très bien forger.

Tout le monde se mit à rire et le patron eut une grimace méprisante.

- Ecoute, gamine, t'as pas besoin de faire ça. Mignonne comme t'es, t'auras pas de mal à te trouver un bon mari qui ira travailler pour toi pendant que tu cuisineras pour lui, d'accord ?

- Prenez-moi à l'essai ! Ça vous coûte rien, si ?

- Y'a rien à essayer. Les filles ne savent pas forger.

Exaspérée, Katt sortit son prédilivre et le brandit sous son nez. Le silence se fit. Katt répéta patiemment :

- Je veux être prise à l'essai.

- Non, répéta le patron. T'as peut-être un destin mais ça change rien au fait que les filles ne savent pas forger. Il y a des tas de garçons très doués qui savent travailler mieux que toi, ce serait injuste que tu prennes leur place. D'ailleurs, qu'est-ce qui nous dit que c'est un vrai ?

Complètement écœurée, Katt sortit sous les rires des employés. Elle essuya un autre refus dans un établissement similaire, marcha longtemps et finit par se retrouver face à une troisième échoppe. C'était clairement une forge, elle reconnaissait son odeur caractéristique mais vu de l'extérieur, le bâtiment ne payait pas de mine. Katt faillit faire demi-tour et rentrer à l'auberge mais elle se ressaisit juste à temps. Il fallait au moins qu'elle essaie.

Elle frappa et une voix d'homme lui dit d'entrer. Elle entra et se trouva dans un atelier classique : charbon, enclume, marteaux, tenailles, le décor familier qu'elle avait connu pendant toute son enfance. Un homme âgé d'une cinquantaine d'années, trapu, aux cheveux argentés, se leva en la voyant.

- Bonjour, dit-elle. Je cherche du travail. Mon père est forgeron et j'ai tout appris dans sa forge. Je sais faire pas mal de trucs : des couteaux, des fers à cheval...

- Montre-moi.

- Comment ça, vous voulez pas de moi ? cria-t-elle par réflexe. Sous prétexte que je suis une fille, vous croyez que je suis incapable de forger ?!

- J'ai dit : montre-moi ce que tu sais faire.

Katt se mordit la lèvre. Les deux refus précédents lui avaient fait tellement mal que cette réaction lui mettait du baume au cœur. Hésitante, elle s'approcha.

- Vous voulez que je fasse quoi ?

- Essaie de faire une copie exacte de cette dague.

Il lui tendit une pièce que Katt examina. C'était une fort jolie dague, à la lame fine et au manche garni de dessins compliqués. Elle n'avait pas l'habitude de fabriquer des objets aussi détaillés mais elle ne voulait pas se défiler.

- J'ai combien de temps ?

- Tout le temps que tu voudras.

Katt acquiesça, enfila ses gants et regarda autour d'elle. Le matériel était de qualité correcte, elle pouvait en faire quelque chose d'acceptable. Mais cela serait-il suffisant ? Elle attrapa un marteau, du métal et se mit à travailler.

D'habitude, dès qu'elle travaillait le métal, elle oubliait tout ce qui se passait autour d'elle. Une sorte de magie opérait en elle, comme si les objets se fabriquaient tout seuls. Aujourd'hui, pour une fois, elle ne se sentait pas parfaitement tranquille. Elle sentait le regard de cet homme sur elle et cela la rendait légèrement nerveuse. Qu'allait-il penser de ce qu'elle faisait ?

Les heures passèrent et cette dague ne tournait pas parfaitement comme elle le voulait. La lame n'était pas parfaitement fine, il y avait un défaut au niveau du manche. Aurait-elle le temps de la refaire ? Mais avant qu'elle ait eu le temps de poser une question, la voix de l'homme s'éleva :

- Fais voir.

Katt capitula et posa l'objet sur la table. Le forgeron l'examina soigneusement.

- Ce n'est pas une copie parfaite, dit-il enfin. Tu l'as refroidie trop tôt et il y a des imperfections à la base.

- Il me semble que c'est une pièce solide et avec un bon tranchant, protesta Katt.

- C'est vrai. Mais est-ce qu'à ma place, tu t'embaucherais ?

- Vous m'avez demandé d'essayer de faire une copie parfaite. J'ai essayé et je me suis donnée à fond. Vous ne voulez pas de moi parce que je suis une fille, c'est ça ?

A la grande surprise de Katt, son interlocuteur sourit.

- Oui, tu t'es donnée à fond, c'était ce que j'espérais. Tu as de bonnes bases, tu manques juste encore un peu de méthode. Reviens me voir demain à 9 heures.

- Pourquoi ?

- Parce que tu commences demain.

Katt sentit le soulagement l'envahir. Elle était embauchée ?

- Je commence demain ?

- Oui. Salaire de dix docats par semaine, repos dominical. Tu seras à l'heure ?

- Bien sûr, monsieur...

- Appelle-moi Ogor. Et tu me dis tu. Ton nom, c'est...

- Katt.

Katt se lava les mains, prit congé et sortit, un petit sourire aux lèvres. Tout compte fait, les gens des villes n'étaient pas si nuls que ça.

Le manuel de la farouche guerrièreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant