Katt regagna la forge quand elle eut un peu de temps. Elle échangea un courrier avec Ogor pour le rassurer et apprit qu'il avait décidé de rester un peu plus longtemps que prévu pour régler des affaires familiales. Il lui manquait. Vraiment, elle aurait aimé l'avoir près d'elle en ces moments difficiles.
Un matin, elle se trouvait occupée quand quelqu'un frappa à la porte. Elle ouvrit et se trouva face à un garçon aux yeux très bleus, peut-être un peu plus jeune qu'elle, tout pâle, qui était suivi par une espèce de géant presque aussi large que long.
- Bonjour, dit le gamin. Il me faut une arme exceptionnelle.
- Quoi ?
- J'ai besoin d'une arme exceptionnelle !
- Quel genre d'arme ?
- Un glaive, pareil à nul autre !
En temps normal, Katt aurait pris le temps d'écouter ce gogo et de lui faire payer le prix fort mais après le saccage de la ville, elle préférait s'abstenir. Elle n'aurait pas le temps pour ce genre de bêtise.
- Mon carnet de commande est plein. Il faudra attendre quelques mois.
- J'en ai besoin tout de suite. Je dois accomplir mon destin en tuant le tyran.
- Vous savez vous servir d'une arme, au moins ?
Elle connaissait la réponse d'avance. Ce gamin était tout maigre et semblait tellement gauche que c'en était hilarant. Il protesta :
- Non, je suis fermier. Mais j'apprendrai !
- Ecoutez, après ce qui vient de se passer, tout le monde a envie de tuer Kronnart. Si je devais fabriquer un glaive hors de prix à toutes les personnes qui frappent à ma porte en se prenant pour l'Elu, j'en finirais pas.
- Mais c'est moi, l'Elu !
- Pardon ?!!
Le gamin sortit un prédilivre de sa poche et Katt écarquilla les yeux. La couverture était dorée. Elle n'avait jamais rien vu de tel.
- Il est écrit dans mon prédilivre que je dois entrer chez vous et vous demander un glaive, insista le garçon. C'est possible ?
Katt sortit son propre prédilivre et l'ouvrit à la page la plus récente. Pas possible, c'était écrit aussi dans le sien.
- Argenté ? s'écria le garçon. Chouette, celui de mon pote aussi est argenté ! Il s'appelle Borg. Mon pote, dis-lui bonjour !
Il fit signe au colosse, qui se fendit d'un large sourire et lui tendit la main en répétant : « Pote ». Katt serra sa main machinalement. Elle n'en croyait pas ses yeux.
- Ouah... c'est marrant, dit-elle au gamin. Je t'imaginais plus grand.
- On me dit tout le temps ça !
- Je peux voir ton prédilivre ?
Il le lui tendit et lui montra quelques pages. Son nom s'étalait sur la première page intérieure : Rsltvx Krthxowbrtvn.
- Tu t'appelles vraiment comme ça ?! s'étonna Katt.
- J'ai beaucoup de noms. On m'appelle aussi l'Elu, le Voyageur aux pieds blancs, le phénomène de Krultul-Moth, ...
- Ça doit pas être pratique pour trouver un bol avec un prénom.
- Mais mes amis m'appellent Toto.
- Soyons amis, alors. Pas question que je mémorise le reste. Moi, c'est Katt.
Elle lui tendit la main en prononçant ces mots. Il resta interdit.
- Seulement Katt ?
- Katroussia Forge mais mes amis... en fait, tout le monde m'appelle Katt.
- Forge ? Ah, c'est marrant, vu que tu travailles dans une forge...
- Dans mon village, les enfants prennent le métier de leur parent comme nom de famille.
- C'est vrai ?
- J'ai connu un Adam Glandeur-qui-fout-rien quand j'étais petite. Mais il a réussi à changer de nom.
- Tu es très belle.
Il prononça ces mots en rougissant. Elle leva les yeux au ciel. Souvent, elle avait affaire à des clients qui essayaient de lui faire baisser les prix en utilisant la flatterie. Elle ne tombait jamais dans le panneau.
- Il va me falloir plusieurs mois pour fabriquer ton arme, annonça-t-elle. Je suppose que tu sais te servir d'une épée.
- Non.
- D'une dague ?
- C'est pas la même chose qu'une épée ?
- Euh... pas vraiment. T'as déjà manié un arc ? Une hache ? Une lance ?
- Non.
- Un... lance-pierres ?
- Je sais traire une vache.
- Ouais. Ça nous sera sûrement très utile quand on sera en pleine baston et que l'un de nous aura soif mais je te demande si tu peux tenir tête à un adversaire !
- Je pensais que tu m'apprendrais !
Katt haussa les épaules et se tourna vers son compagnon.
- Tu t'appelles Borg, c'est ça ?
- Borg ! répondit-il avec un large sourire.
- Tu viens d'où ?
- La ferme !
- Tu pourrais être poli !
- Il te dit qu'il est garçon de ferme ! intervint Rsltvx. On a grandi ensemble.
- Tu sais faire des trucs ? demanda Katt en s'adressant à Borg.
- Il est super fort ! répondit Rsltvx à sa place. A dix ans, il s'amusait à déplacer mon lit d'une seule main.
- Toto, c'est à lui que je parle. Pas à toi.
- Il peut pas faire de phrases, expliqua Rsltvx. Il a perdu l'usage de la parole quand on était enfants. C'était avant que j'apprenne que j'étais adopté. Mon père adoptif m'a montré le médaillon en or enroulé autour de mon cou quand j'ai été déposé sur le pas de leur porte.
Katt interrogea Borg du regard. Celui-ci hocha la tête, probablement pour confirmer la véracité de l'histoire. Elle s'écria :
- Faut vraiment être un pignouf pour donner ça à un bébé. Il pourrait s'étrangler avec !
- Si tu le dis. Quelque part, j'ai toujours su qu'il y avait quelque chose d'horriblement triste dans mon passé et que je naissais avec une faute noire et obscure que je ne pourrais laver qu'en accomplissant un exploit extraordinaire. J'aimerais venir à bout du tyran mais je me sens envahi par le doute à chaque instant. Avoir un destin aussi grand que le mien est un véritable fardeau. Pourrais-tu m'aider ?
- Repose-moi la question en me regardant dans les yeux.
En effet, Rsltvx avait prononcé toute sa tirade en fixant une autre partie de son anatomie. Gêné, Borg intervint :
- Désolé. Malpoli.
- D'accord, merci.
- Pourrais-tu m'aider ? insista Rsltvx. En m'aidant à accomplir mon destin, tu accomplirais une tâche noble et juste !
- Je vois, soupira Katt. Toto, laisse-moi résumer : ma ville est dévastée, je dois gérer toute seule une forge, j'ai tout un paquet de commandes à gérer tout en aidant à reconstruire ma ville et tu veux qu'en plus que ça, je fabrique une arme exceptionnelle à un parfait inconnu qui ne sait même pas reconnaître une dague d'une épée, c'est ça ?
- Merci !!! Je savais que tu dirais oui ! Je passe la chercher dans une semaine, d'accord ?
Il la serra dans ses bras et sortit, la laissant complètement stupéfaite.
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Le manuel de la farouche guerrière
HumorVoici l'histoire d'une farouche guerrière, une vraie dure à cuire, dans un lointain pays qui vit sous le joug d'un infâme tyran. Heureusement, d'après une prophétie, un Elu viendra les sauver. Et franchement, elle préfèrerait faire ça elle-même parc...