7. Police

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C'était la police de Karloth. Katt se sentit un peu inquiète car, dans son village, il n'y avait pas vraiment de police, juste quelque chose qui s'appelait un « groupe de doléances ». Chaque dimanche, on allait raconter ses problèmes sur la place du village et les médiateurs, choisis pour leur âge avancé et la sagesse qui allait parfois (mais pas toujours) avec, s'efforçaient de trouver une solution. Katt se souvenait d'avoir assisté à une séance de doléances une fois, quand elle était enfant. C'était son oncle Vart qui le lui avait conseillé et elle s'y était tellement ennuyée qu'elle n'y était jamais retournée.

Elle suivit les deux policiers sans protester. Mieux valait commencer sa vie ici en se faisant passer pour une citoyenne modèle. A sa grande surprise, les trois garçons ne les suivirent pas.

- Eux, ils ne viennent pas ? s'enquit-elle.

- C'est à vous qu'on veut parler.

- Pourquoi ?

- Parce qu'eux, on les connait. Vous venez d'une autre ville, non ?

- Ouais, un village au nord. J'ai un ami qui...

- On vous a pas demandé de parler !

Katt se demanda très fort comment elle aurait pu répondre à leur question sans parler mais préféra ne rien dire. On l'emmena dans une petite pièce sommairement meublée d'une table, de chaises, d'un réchaud éteint et d'un petit bureau derrière laquelle une dame maigrichonne se mit à écrire à toute vitesse en les voyant. Katt s'assit avec eux et lança :

- J'ai rien fait !

- C'est pas ce qu'on a vu ! répondit le policier de gauche, un grand maigre.

- Mais c'est pas ma faute !

La secrétaire les interrompit :

- Nom, prénom, âge et profession, s'il vous plait !

- Katroussia Forge. 15 ans. Forgeronne. Et vous ?

- C'est nous qui posons les questions, répondit le grand maigre. Domicile ?

- Justement, je cherchais une auberge au moment où ce connard m'a tripotée. Je suis en voyage.

- Avec vos parents ?

- Avec un ami. Mes parents sont décédés.

- Passez-moi votre prédilivre.

Katt n'en avait aucune envie mais elle le sortit quand même de sa sacoche. Il y eut un sursaut et la secrétaire leva les yeux et poussa un petit cri.

- Il est argenté ?! s'écria-t-elle.

- Ouais.

- Je n'ai jamais vu de prédilivre argenté. Je peux regarder ?

Katt acquiesça à contrecœur. La secrétaire s'approcha et palpa le petit livre, les yeux brillants.

- Les personnes qui ont un argenté sont plutôt rares, les femmes encore plus...

- Je suis pas comme les autres filles ! répondit Katt, une pointe de fierté dans la voix.

- C'est pas très sympa pour...

Le grand maigre l'interrompit :

- On ferme les yeux pour cette fois. Mais la prochaine fois, essayez de faire plus attention !

Katt leva les yeux au ciel. Elle allait sortir quand la secrétaire l'arrêta et lui tendit un grand sac de jute.

- Tenez, dit-elle. Portez ça par-dessus votre panta-pas-long.

- C'est un ordre ?

- Non, un conseil. Vous risquez de croiser beaucoup d'hommes allergiques aux chevilles de femmes ici.

Katt leva encore les yeux au ciel mais acquiesça pour avoir la paix.

*

Elle arriva enfin à l'auberge, un petit bâtiment aux murs jaunes qui portait le nom de 'Doux Foyer'. Une fille de son âge l'accueillit, une gracieuse créature en robe rose qui passait le chiffon sur le comptoir.

- Bien sûr qu'on a des chambres ! s'écria-t-elle. On a des simples, des doubles, des avec vues sur la rue... On fait aussi de la restauration. Nos prix sont affichés ici. On peut vous faire un forfait pour la semaine et le mois, et...

- J'aimerais voir une de vos chambres ! coupa Katt, qui avait entendu dire que certains aubergistes étaient des arnaqueurs.

La fille obtempéra. La chambre qu'elle lui montra était fort propre et le prix, raisonnable. Satisfaite, Katt annonça qu'elle la prenait pour une nuit.

- Il faut payer d'avance, c'est mon père qui veut ça ! annonça la fille. Bienvenue au Doux Foyer. Je m'appelle Avriline, n'hésitez pas à m'appeler si vous avez besoin de quelque chose.

Elle lui fit un très joli sourire et Katt répondit par une grimace. Elle se rendait compte que leurs économies allaient filer très vite si elle ne trouvait pas un travail. Et puis, franchement, elle n'avait jamais pu blairer les nunuches en robe rose.

Elle retourna sur ses pas et retrouva Stenvald à l'endroit prévu. Celui-ci semblait tout excité.

- J'ai trouvé la bibliothèque ! C'est l'endroit le plus extraordinaire que j'ai jamais vu : trois étages, des livres partout, il y a même une collection d'anciens prédilivres ! Et c'est l'endroit le plus silencieux que j'ai jamais vu ! C'est parfait pour lire dans le calme.

- Génial, Sten. J'ai trouvé un logement et la police m'a traitée de dévergondée.

- Quoi ?!

Elle lui raconta tout. Il resta pensif.

- Il y a peut-être une loi sur les vêtements à Karloth, supposa-t-il enfin. Je suis sûr qu'il y a un livre qui en parle. J'irai voir demain.

- Je ne crois pas. On va bientôt être à court d'argent. Il faut qu'on se trouve du travail, tu liras plus tard.

- Justement, j'ai une bonne nouvelle. J'ai trouvé un travail à la bibliothèque !

- C'est vrai ?

- Oui ! Je fais du classement et du rangement. Bon, le patron m'a traité de bouseux mais il a changé d'avis quand je lui ai fait remarquer qu'il y avait des erreurs d'orthographe sur le panneau à l'entrée.

Katt éclata de rire.

- Ça m'étonne pas de toi !

- Allez viens, c'est moi qui paie la chambre.

Katt ressentit une bouffée de fierté et d'admiration, en même temps qu'un peu d'amertume. Elle aurait aimé être la première à trouver du travail.

- Génial ! Je suis sûre que tu vas assurer.

*

Les deux ami.e.s dînèrent d'un plat du jour à l'auberge et décidèrent de prendre une seule chambre pour économiser de l'argent. Comme par hasard, le patron commença par leur faire les gros yeux et déclara qu'il ne ferait jamais dormir ensemble un couple non marié. Etourdiment, Katt lança :

- C'est mon frère !

- Il est pas un peu noir pour être ton frère ?

- J'ai été adoptée !

C'était techniquement vrai. Katt et Sten étaient tellement proches qu'elle l'appelait parfois « mon frère », et elle avait bel et bien été adoptée par son oncle. Passablement crédule, l'aubergiste leur donna les clefs de la chambre. Ce n'était pas la même que celle qu'Avriline leur avait montrée. Elle était toute petite et le sommier des lits jumeaux craquait mais c'était mieux que de dormir dehors.

Dès le lendemain, Katt rallongea son pantalon, puis se mit à chercher du travail.

*

Note : les propos sur les « nunuches en robe rose » représentent l'opinion de Katt, pas la mienne. Si vous êtes une fille qui aime la couleur rose, je m'excuse. Vous avez le droit de porter du rose.

Le manuel de la farouche guerrièreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant