33. Permis de construire

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Le petit groupe arriva à Karloth quelques jours plus tard. La nuit tombait, le froid commençait à s'installer et les rares passants ne prêtaient pas attention à ces voyageurs aux chaussures couvertes de terre et qui auraient eu bien besoin d'une douche. Passablement vexé par ce manque d'attention, Rsltvx sauta à terre et brandit son prédilivre doré :

- On a mis fin au règne du tyran ! Vous pouvez sortir et faire la fête, on vous a tous sauvés !

Les gens le regardèrent un instant, puis continuèrent leur chemin. Un enfant cria : « félicitations ! » et repartit comme si de rien n'était. Rsltvx resta stupéfait.

- C'est tout ce que ça leur fait ?!

- Ils savent, supposa Stenvald. Les nouvelles vont vite. Et puis ils ont dû remarquer que la lumière rouge a disparu.

- Mais on a mis fin au problème !

- Félicitations ! ironisa Katt. Avant, tu disais je, maintenant, tu dis on. Y'a du progrès.

Dépité, Rsltvx bouda tout le long du chemin vers le relai de chevaux. Le loueur récupéra ses animaux, les examina, les trouva en bonne santé et souhaita une bonne soirée à ses clients. Toujours perplexe, Rsltvx annonça :

- On a mis fin au règne du tyran.

Le visage du loueur s'éclaira :

- C'est bien ! Bravo. Ça veut dire qu'on aura moins d'impôts, c'est ça ?

- Y'a des chances, répondit Stenvald. On observe souvent ça après ce genre d'événements. J'ai lu ça dans les archives.

- Et moins de taxes pour faire construire sa maison ?

- Possible.

- Ma fille s'est mariée il y a un mois mais à cause de toutes ces taxes, elle et son mari sont encore obligés de vivre chez nous. Ce serait merveilleux si quelqu'un faisait un geste pour que le permis de construire soit délivré plus tôt. Vous voyez ? Tenez, voici ma carte, si vous avez encore besoin de louer un cheval...

Il avait dit ça d'un ton gêné et il semblait évident qu'il espérait qu'on lui fasse une faveur. Légèrement embarrassé, Sten répondit :

- On va voir ce qu'on peut faire. Félicitations à votre fille pour son mariage. Bonne soirée !

Le petit groupe sortit. Une fois dehors, Rsltvx s'étonna :

- Pourquoi il croit qu'on peut l'aider à délivrer un permis de construire ?

- Il y a des chances pour qu'on nous confie des postes à responsabilités, maintenant, expliqua Sten. Vous en pensez quoi ? Je veux dire, vous voulez faire quoi, maintenant qu'on a fait ce qu'il fallait ?

- Chevaux ! s'écria Borg.

Il n'avait aucune envie d'occuper un poste à responsabilités. Ce qu'il voulait, c'était s'occuper de chevaux ou retourner travailler à la ferme. Katt hocha la tête.

- C'est bien ça. T'es doué pour t'occuper des chevaux ! Moi, j'aimerais continuer à travailler dans une forge. Fabriquer des trucs, tout ça. J'ai pas envie de passer mon temps à dire aux gens que je ne peux pas leur donner de permis de construire.

- Et moi, j'apprendrai la mandoline, ajouta Rsltvx.

- Si tu veux, répondit Sten. Mais il faudra garder le contact. Continuer de se voir au moins une fois par an et convenir d'un signal pour se retrouver au cas où l'un de nous aura un problème.

- Evidemment, qu'on gardera le contact ! s'écria Rsltvx, offusqué. Tu crois que j'ai pas de cœur ?

- Non, énonça Katt. Il croit que tu pourrais encore te trouver dans la merde jusqu'au cou et qu'on devra aller te secourir.

- QUOI ?!

Katt afficha un sourire narquois et Rsltvx la fusilla du regard. Voyant que la situation risquait de dégénérer, Stenvald s'empressa d'ajouter :

- J'ai remarqué un schéma dans les prédilivres des générations précédentes. Souvent, les personnes qui ont un manuel doré ou argenté doivent reprendre du service vingt ou trente ans après. Ou alors, ce sont leurs enfants qui sont confrontés à des menaces. Il faut qu'on se prépare et qu'on garde le contact.

- Bon, répondit Katt. Alors, tous les ans, juste ici ?

Leurs pas les avaient mené.e.s jusqu'à l'auberge du Doux Foyer. Iels poussèrent la porte et trouvèrent comme d'habitude les quelques habitués qui se tenaient attablés, buvaient et bavardaient en attendant le dîner. Avriline s'affairait derrière le comptoir et se figea en les voyant.

- Déesse merci, vous êtes là ! s'écria-t-elle en lâchant son chiffon pour se précipiter à leur rencontre.

Elle serra dans ses bras Katt, qui lui rendit son câlin avec maladresse. Ensuite, elle se recula et serra la main de Sten, puis voulut en faire autant avec Borg, qui eut l'air peiné.

- Câlin ? demanda-t-il d'une petite voix.

- Oui, si tu veux.

Il la serra dans ses bras, lui coupant le souffle au passage. Ensuite, elle se dégagea et souffla :

- On a vu que la lueur rouge a disparu. Est-ce que...

- On est débarrassés du tyran ! s'écria Rsltvx en lui tendant les bras.

Elle eut un mouvement de recul et lui tendit la main en secouant la tête. Elle ne voulait pas de câlin. Il lui serra la main à contrecœur et elle reprit :

- Très bien. Formidable ! Vous êtes attendu.e.s tout de suite à l'Hôtel de ville.

- Pourquoi à l'Hôtel de ville ? demanda Sten.

- Pourquoi tout de suite ? ajouta Katt.

- Pourquoi il a droit à un câlin et pas moi ? s'enquit Rsltvx, vexé.

- Je crois que le maire veut vous parler. Il veut faire ça le plus tôt possible. Et non, ça veut dire non.

- Vous entendez ? demanda Rsltvx, une note d'espoir dans sa voix. Le maire a préparé une fête en notre honneur !

- Rêve pas trop ! lança Katt. On ira demain. Avril, il reste des chambres pour cette nuit ?

- Oui, mais le maire a dit : le plus vite possible, insista Avriline. Je vous donnerai les clefs des chambres quand vous serez rentré.e.s.

Les membres de l'Alliance avaient très envie de se reposer tout de suite, profiter d'un repas et d'un bon bain mais il y avait quelque chose d'inquiétant dans l'insistance d'Avril. Pourquoi fallait-il se rendre à l'Hôtel de ville tout de suite ?

- On y va maintenant, suggéra Sten. On en sera débarrassé.e.s.

- Vous croyez pas qu'il prépare une fête en notre honneur ? s'enquit Rsltvx. On l'aura bien mérité !

Les autres l'entraînèrent dehors, trop fatigué.e.s pour lui répondre.

Le manuel de la farouche guerrièreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant