23. Seconde zone

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Les voyageurs se remirent en route, croisant parfois des personnes qui ressemblaient à Garouga et à sa famille : petites, trapues et souvent barbues. Les regards exprimaient de la surprise, rien d'autre. Katt, qui se sentait un peu gênée, chercha quelque chose à dire :

- Je peux poser une question ? demanda-t-il à Grougg.

- Je pas bien parler langue.

- Je peux traduire, intervint Sten.

- D'accord, répondit Katt. On a croisé un village elfe. Ils ne nous ont pas dit que vous habitiez ici.

- C'est pas une question, fit remarquer Sten.

- Traduis quand même.

Il s'exécuta et Grougg éclata de rire.

- Les elfes sont prétentieux ! Et ils venir pas ici.

- Pourquoi ?

- Il y a fer partout.

Elle fit un grand geste et pour la première fois, les visiteurs remarquèrent l'omniprésence du métal ferreux : à intervalles réguliers sur le sol, au niveau des ouvertures, des lampes... Pas étonnant que la boussole se soit affolée.

- Evidemment ! s'écria Sten. Je l'ai lu, les elfes sont allergiques au fer.

- Ici, abri, résuma Grougg.

Le chemin fit un coude et les voyageurs débouchèrent à la lumière du jour. Leur guide fit un geste.

- Voilà. Après, Grand Brasier. Bon route.

Le petit groupe prit congé. La route débouchait sur une ouverture dans la montagne, il suffirait de descendre. En voyant le paysage qui s'étalait devant eux, iels eurent le souffle coupé. Une lande désolée s'étalait devant elleux. Le sol était desséché, quelques arbres morts se dressaient ici et là et au beau milieu, on pouvait voir ce qui ressemblait à une citadelle auréolée d'une lueur rouge.

- On en a pour une journée à cheval, supposa Sten.

- Ouais, ajouta Katt. Au fait, Toto, je te félicite. T'as réussi à passer cinq minutes avec une fille sans lui manquer de respect !

- Je respecte toujours les filles ! protesta Rsltvx.

- Non, la première fois que t'as parlé à Avril, tu l'as draguée lourdement. Pareil avec moi et Elzyria. T'as rien dit à Grougg, tu progresses !

- Quoi ?!! Elle est moche ! Je vais tout de même pas perdre mon temps avec une fille qui prend pas soin d'elle !

- Pignouf ! lança Borg, indigné par autant de mépris.

- Non, c'est toi le pignouf !

- ON SE CALME, LES GARS !!! hurla Stenvald.

Cet accès de brusquerie lui ressemblait si peu que tout le monde se tut soudain. Les quelques minutes suivantes s'écoulèrent dans le silence. Quand le petit groupe descendit de cheval pour faire une pause, personne n'avait desserré les dents.

- Les chevaux sont nerveux, fit remarquer Katt. Ça doit être cette odeur de soufre.

- Faim, ajouta Borg.

Il désigna l'absence de végétation aux alentours. Il était évident que la fin du trajet allait être extrêmement pénible pour eux. Borg se souvenait de la promesse qu'il avait faite au loueur de chevaux et désigna la montagne :

- Attendre !

- Tu veux qu'ils nous attendent ici ? demanda Toto.

- Oui !

- Ils risquent de se sauver et on ne saura pas comment rentrer. Et puis, ils veulent continuer avec nous, pas vrai, Noix de Coco ?

Il prononça ses mots en attrapant le cheval le plus proche par la tête. En guise de réponse, celui-ci s'échappa et partit en direction de la montagne. Comme s'ils n'avaient attendu que ce signal, les autres chevaux le suivirent. Toto bondit :

- Hé ! Noix de Coco !

- Garnement ! s'écria Borg.

- Mais t'arrêtes avec tes insultes ?!

- Non, c'est ton cheval, expliqua Katt. Il s'appelle Garnement, pas Noix de Coco.

- On n'a pas idée d'appeler un cheval comme ça !

- Dit le garçon qui a le nom le plus normal du monde !

- QUOI !! T'es vraiment une... une...

Il s'étouffait, devenait rouge et Katt décida de le laisser se calmer. Elle alla voir Sten qui se tenait un peu à l'écart, le visage songeur.

- On n'a plus qu'à continuer à pieds, annonça-t-elle.

- Ouais...

- Avec un peu de chance, on récupérera les chevaux au retour. Sinon, on improvisera.

- Ouais...

- Est-ce que ça va ?

C'était une question pour la forme. Elle espérait qu'il réponde oui, comme le font la plupart des gens, et qu'ils continueraient leur route. Au lieu de cela, il soupira :

- Non, ça va pas. Je serai peut-être mort dans quelques heures, tu te souviens ?

Katt s'en souvenait. D'après les observations de Stenvald, quand il y avait un noir dans l'entourage de l'Elu, c'était toujours lui ou elle qui mourait en premier. L'échéance se rapprochait et il avait peur. Gênée, Katt lui tapa sur l'épaule.

- Je laisserai personne te tuer, assura-t-elle. Faudra me passer sur le corps.

- Merci. Mais j'ai pas envie que TOI, tu meures.

- J'essaierai de pas mourir. Mais... Enfin, on a un destin ! On va peut-être mettre fin au règne de Kronnart et ça vaut la peine de donner sa vie pour ça !

- JE SAIS ! Moi aussi, je veux qu'il paie pour ses crimes. Mais si toi, ou moi, ou Borg on meurt, les gens feront peut-être une minute de silence et puis c'est tout. Si c'est Toto qui se fait tuer, ça fera vingt ans de deuil général et on donnera son nom à une ville. Je suis peut-être mesquin en disant ça mais... c'est pas...

- Non. T'est pas mesquin du tout.

Elle le prit dans ses bras maladroitement. Borg se précipita et les imita. Iels restèrent un moment enlacés, immobiles, en silence. Trois citoyens de seconde zone parmi les élus.

Enfin, Katt se dégagea et évalua la quantité de bagages qui leur restait. On pouvait faire le reste du trajet à pieds en portant un sac par personne.

L'Alliance de Karloth se répartit les charges et repartit dans une atmosphère étouffante. Personne ne parlait et la peur grandissait. Les quatre ami.e.s s'attendaient à voir débarquer les Cavaliers Sanglants à tout moment.

Le manuel de la farouche guerrièreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant