13. Les schémas

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Le soir venu, Katt alla retrouver Stenvald à la bibliothèque. Interrogé.e.s, ses collègues lui dirent qu'il était parti et comme elle ne l'avait pas croisé dans la rue, elle supposa qu'il se trouvait sur le toit. En effet, il se tenait assis tout au bord et regardait dans le vague, l'air perdu. Elle dût répéter son nom plusieurs fois avant qu'il se rende compte qu'elle était là.

- Katt ! s'écria-t-il. Qu'est-ce que tu fais là ?

- Tu m'avais dit qu'on se retrouverait ce soir. Je t'attendais.

- Désolé ! J'avais la tête ailleurs et j'ai pas vu le temps passer. Du nouveau ?

- Je viens de rencontrer l'Elu !

Le visage de Stenvald se décomposa. Il fit signe à Katt de s'assoir, prit une grande inspiration et s'enquit :

- Il est comment ?!

- Mon âge, pas très futé, complètement à côté de la plaque. Super décevant. J'arrive pas à croire que c'est lui, l'Elu !

- Il est blanc ?

- Oui, pourquoi ?

A la grande surprise de Katt, Sten la serra dans ses bras sans crier gare. Ensuite, il recula et essuya une larme.

- Tu vas me manquer ! bafouilla-t-il.

- Quoi ?

- Il faut que je parte loin d'ici.

- Quoi ?! Mais pourquoi ?

Stenvald sortit alors un gros cahier et l'ouvrit. Toutes les pages étaient couvertes d'écriture et Katt fronça les sourcils. Elle n'y comprenait absolument rien. En voyant sa mine perplexe, son ami expliqua :

- Ça, c'est les notes que j'ai prises depuis que je suis ici. Cette bibliothèque m'a donné accès à tous les anciens prédilivres dorés et argentés qui y sont conservés. Je les ai étudiés en cachette dès que j'ai eu le temps. Ça m'a pris des heures mais ça en valait la peine. Figure-toi qu'il y a des schémas qui se reproduisent d'une génération à l'autre et si on en tire un fil conducteur, ça ne présage rien de bon.

- Et dans une langue que je peux comprendre, ça donne quoi ?

- Toutes les trois ou quatre générations, il y a un Elu qui apparaît pour accomplir une tâche prestigieuse et qui en ressort couvert de gloire. Le souci pour moi, c'est qu'il y a toujours au moins une personne de son entourage qui meurt. En général, elle se sacrifie pour lui sauver la vie. J'ai fait des recherches. C'est... c'est toujours son proche noir qui meurt en premier.

- QUOI ?!!

- Comme je te dis. C'est tout le temps comme ça. Et je sais que Kronnart doit être arrêté, je sais que ça vaut la peine qu'on fasse des sacrifices mais ça me... ça me fait mal de savoir que ma couleur de peau me met en premier sur la liste des gens à tuer ! Tu vois, j'ai pas envie d'être zigouillé, comme ça, tout ça parce que je suis noir. J'aimerais faire autre chose, devenir enseignant ou écrire des livres, rencontrer l'amour de ma vie, m'installer avec. J'ai que 21 ans, merde. Je suis trop jeune pour... tu vois.

Katt ne savait pas trop quoi répondre à ça. Stenvald était comme un frère pour elle et elle ne voulait le perdre à aucun prix. Mais est-ce qu'il allait forcément mourir comme ça, si jeune, tout ça parce que des schémas le prédisaient ? Ça paraissait vraiment improbable. Elle le serra dans ses bras, se creusa la cervelle et finit par hasarder :

- T'es super intelligent. Tu trouveras un moyen de pas mourir. Et moi, je te protégerai, quoi qu'il arrive. T'es mon meilleur ami, je laisserai personne te tuer.

- Merci. Mais j'ai quand même peur.

- Et... est-ce que tes... schémas nous disent autre chose ? La marche à suivre ?

- Oui. L'Elu a toujours une arme exceptionnelle.

- Je sais, soupira Katt. Il m'en a demandé une.

- Il a toujours une farouche guerrière dans son entourage. Tu veux savoir la suite ?

- Elle meurt à chaque fois ?

- Soit elle meurt, soit elle tombe amoureuse de l'Elu. Parfois les deux.

Katt ouvrit des yeux ronds.

- QUOI ?!! Mais y'a pas moyen que je tombe amoureuse de ce gros bébé ! Non mais, il se prend pour qui ?

- Pour l'Elu, j'imagine.

- Mais pourquoi ?!! C'est pas normal ! Je m'entraîne à l'épée et à la hache depuis que j'ai sept ans, je peux affronter n'importe qui, je sais fabriquer mes propres armes et voilà qu'un gamin de ferme arrive de nulle part et qu'il faudrait que je sois aux petits soins avec lui sous prétexte que c'est l'Elu ! Il faut être un mec pour être pris au sérieux ?!

- Non. Il faut être un mec blanc.

Le soleil s'était couché. Katt se prit la tête entre les mains, réfléchit longuement, puis poussa un profond soupir et tapa sur l'épaule de son ami.

- Tu sais, dit-elle, ce ne sont que des livres. Je sais que je ne pourrai jamais tomber amoureuse de Toto et...

- Il s'appelle Toto ?

- Entre autres. Et toi, tu vas l'avoir ta belle vie. Et tu verras, quand tu seras enseignant ou écrivain, on en rira !

- Oui, répondit-il avec une note d'espoir dans sa voix. On en rira ensemble. Et l'amour de ma vie en rira aussi.

Katt se fit soudain la réflexion qu'il ne lui avait jamais parlé de ses amours. C'était la première fois qu'elle le voyait aussi romantique. Elle-même n'avait ni le temps, ni l'envie de se chercher un amoureux mais maintenant qu'elle savait que Stenvald était intéressé par ce genre de choses, sa curiosité était piquée. Prudemment, elle s'enquit :

- Tu la vois comment ?

- Quoi ?

- L'amour de ta vie ?

- Eh bien, tu vois, j'aimerais rencontrer une personne intelligente, intéressante et avec le sens de l'humour. Quelqu'un qui me comprenne. Et toi ?

Tiens. Il avait parlé d'une personne, pas d'une femme. Katt se demanda si Stenvald était attiré par les garçons, et si oui, s'il se sentait trop gêné pour lui en parler. Si tel était le cas, il devait se sentir bien seul.

- Moi ? répondit-elle. J'ai pas envie d'une relation. Mais je suis sûre que ta personne très spéciale existe quelque part. Je suis sûre que cette personne et toi ferez un très, très beau couple. Et si tu le permets, je vais rentrer à l'auberge, maintenant. Je crève la dalle.

Sur ce, Katt se retourna et alla dévaler les escaliers, suivie par Sten.

Le manuel de la farouche guerrièreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant