Ariane

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Ma mère s'appelle Pasiphae. Quelque part, c'est par elle que tout a débuté.

La première fois que j'ai vu ma mère pleurer...ça m'a retourné le bide. Littéralement. Je ne savais pas comment réagir. J'étais comme sonnée, pétrifiée, figée sur place. Ce qu'elle était en train de vivre devait pourtant être un moment heureux. Une naissance. Donner la vie. Mettre au monde un être de chair et de sang. Ma mère accouchait. Pour la huitième fois de sa vie. Et elle ne pouvait s'empêcher de pleurer cette nuit-là.

Ce n'étaient pas des larmes de joie qui coulaient sur ses joues. Et c'était plus que de la douleur qu'elle endurait. C'est sûr, il y avait autre chose. Quelque chose de plus fort de la souffrance. Chacun de ses cris me transperçaient et me foudroyaient sur place. J'avais beau me boucher les oreilles, je les entendais résonner à l'intérieur de mon être.

C'était de la tristesse. Une peine immense. Alors qu'elle donnait vie à un être humain, ma mère mourrait de l'intérieur en même temps. Les femmes qui s'occupaient habituellement de ma mère avaient le visage blême, l'air paniqué. Cet accouchement sortait à coup sûr de l'ordinaire.

Ma mère, Pasiphaé, était la femme la plus forte que je connaissais. Son nom signifiait "Celle qui brille pour tous". Et ce n'était pas seulement dû à ses origines car fille de Hélios, le dieu du Soleil. Partout où elle allait, ma mère irradiait. De bonheur, d'intelligence aussi. Pour son époux, mon père le roi Minos, pour ses enfants , qu'elle chérissait plus que tout. Et pour les sujets du royaume de Crète, qu'elle gouvernait avec mon père. Cette nuit là, mon étoile, mon repère, mon phare dans la nuit s'est éteint.

Comme sa sœur Circé, ma mère possède des dons de magie. Mais contrairement à ma tante, crainte par les dieux et les hommes, elle n'en a jamais fait don devant ses enfants, pour nous protéger. Pour ne pas nous effrayer. Avec elle, la magie qu'elle amenait dans ma vie s'en est allée aussi.

Alors que j'accourrais dans sa chambre pour lui porter secours, lasse de l'entendre hurler, une femme médecin est apparu et m'a fait barrage :

- File dans ta chambre ! m'ordonne-t-elle la voix tremblante. File ! Et ne sors pas ! Tu n'es pas censée voir ça !

Je déteste qu'on me donne des ordres. Je ne les suis jamais. Pourtant, cette nuit-là, j'ai obéi Je n'ai rien demandé de plus, je n'ai pas cherché à satisfaire ma curiosité habituelle. Je ne devais pas savoir. Je n'en pouvais plus d'entendre ma mère, de voir ce désordre ambiant, de ressentir cette panique générale. A en croire que le palais était pris d'assaut !

Fille ainée de la famille. j'ai quatre frères, et trois sœurs, que j'ai vu naitre. Les accouchements, j'en connais un rayon, cela ne me fait pas peur. D'habitude. Je me suis toujours réjoui de voir le ventre de ma mère s'arrondir. Je me suis toujours extasiée de voir ses joues gonflées sous ses excès de fraises. J'ai été intimidée de la façon dont mon père, un roi, pris de faiblesse, caressait son ventre, un sourire radieux aux bords des lèvres.

Alors oui, une grossesse de ma mère signifiait que je ne serais plus fille unique, que je devrais partager l'amour de mes parents, mais cela voulait aussi dire que j'aurai un compagnon ou une compagne de jeu.

J'ai d'abord eu un frère que mes parents ont appelé Androgée. Il était beau, athlétique, brillant. Bien moins que Glaucos, Deucalion, Catrée qui l'on suivit.

Puis Phèdre est arrivée. Une sœur. Une autre fille. Une concurrente. Tout comme l'ont été Accallis et Xénodicé après elle.

Mai j'ai tout de suite senti que cette grossesse serait différente. Père était plus distant. Plus préoccupé. Et ce n'était pas les faits du royaume qui le tracassait. Non, quelque chose clochait. Mes parents qui ne tarissaient pas de compliments l'un envers l'autre auparavant, faisaient dorénavant chambre à part. Je ne me souviens pas avoir vu mon père caresser le ventre de ma mère une seule fois, ni prendre fait de son état. Non, celui-ci lui importait peu. A croire qu'elle ne portait pas son enfant.

Tout s'est effondré petit à petit à partir de ce moment. Ma vision du couple heureux que formait mes parents jusqu'alors. Ma perception de l'amour. L'image de ma famille modèle et aimante. Tout ce en quoi je croyais s'ébranlait, comme un tremblement de terre. La terre s'était fissurée pour ne jamais se refermer.

Les gens se sont mis à parler dans le royaume. Les rumeurs courraient. Elles ont traversé les murs du palais jusqu'à atteindre mes chastes oreilles. Un taureau. Ma mère avait mis au monde un monstre, une bête. A tête de taureau et corps d'homme.

J'ai refusé d'y croire au début, pensant à une blague de mauvais goût. Mais les faits se sont révélés parlants. Je n'ai pas été autorisée à le voir comme mes autres frères et sœurs. On ne m'a pas permis de le serrer dans mes bras ou de choisir son prénom. Non, c'est mon père qui s'en est chargé. Il l'a nommé Minotaure, pour le taureau de Minos. Mon père n'en était assurément pas le géniteur, mais il en a assumé la responsabilité.

Je n'ai posé aucune question, me doutant que des forces supérieures étaient intervenues. Ce que le commun des mortels jugeait comme" contre nature", signifiait qu'une intervention divine avait eu lieu.

Peu importe. La naissance de mon demi-frère, puisque je devais le considérer ainsi, a signé notre arrêt de mort. Il nous a condamné tous autant que nous sommes, liant étroitement son destin au mien.


God's crushOù les histoires vivent. Découvrez maintenant