Dionysos

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J'ai écouté le récit d'Ariane en serrant les dents et les poings fermés. J'ai contenu mon ire pour ne rien laisser transparaitre et ne pas l'effrayer davantage. La dernière chose dont elle avait besoin, c'était de voir un Dieu en colère. Je me suis saisi de mon verre de vin à proximité et j'ai bu une première rasade.

L'histoire de sa mère m'a ému. Comme quoi, certains dieux sont sensibles aussi. En ce qui me concerne, je le suis. Son récit a fait remonter des choses que je pensais enfoui, comme mon enfance, et le destin de sa mère fait écho à celui de la mienne, Sémélé. Ma mère, fille de Cadmos et d'Harmonie, était une princesse, comme Ariane. Elle devait hériter du royaume de Thèbes. Mais elle est tombée sur la mauvaise personne. Comme bon nombre des enfants de Zeus, je ne suis pas le fils de sa femme Héra, mais le fruit d'un adultère. J'ai été conçu en toute illégalité, et ma mère comme moi en avons payé le prix fort. Comme tous ses enfants, nous avons été la cible de la jalousie de sa femme.

Je n'ai pas eu la chance de la connaître, de me faire bercer par ma mère. Pour faire court, je n'ai pas eu le meilleur démarrage pour débuter dans la vie. Mon enfance a été horrible, chaotique.

L'histoire d'Ariane me fait tressaillir. je suis le fruit d'un adultère, tout comme l'a été son demi-frère le Minotaure. Et à l'intérieur, je suis un monstre comme lui. J'ai fait bon nombre de choses que je regrette pour asseoir mon culte. Rien de ce qu'elle pourra dire, qu'elle pourra me révéler sur ses actes passés ne surpasseront en atrocité ceux que j'ai commis.

Avec Ariane, j'ai la sensation que l'histoire se répète. J'ai un vrai coup de foudre pour cette mortelle, je me sens renaitre une troisième fois. En tant qu'homme cette fois-ci.

Ici, je suis un paria, même si je descends de Zeus. Je ne suis pas reconnu comme un dieu en tant que tel.

Je commence à peine à me faire une place dans ce monde hostile : Hestia m'a cédé sa place parmi les dieux olympiens, et Appolon partage avec moi le sanctuaire de Delphes.

J'ai profité qu'elle s'assoupisse pour m'exfiltrer du palais et rendre visite à la famille. Lorsque Ariane a prononcé le mot "taureau", j'ai perçu quelque chose de familier. j'ai eu vent de cette histoire, certains ont en ri autour de la table lors d'un repas mondain dont nous avons le secret à l'Olympe. Notamment le coupable de cette histoire. C'est avec une certaine détermination que j'ai franchi le seuil de sa demeure. C'est sa femme, Amphitrite, qui m'a ouvert la porte. Je la salue en l'embrassant sur la joue. J'ai de la peine pour elle : elle est aussi cocue qu'Héra.

- Dionysos, que me vaut l'honneur de ta visite ? Est-ce que ça concernerait par hasard ta jeune colocataire ?

Poséidon est le frère de mon père, c'est donc mon oncle. Il n'est pas connu pour faire dans la dentelle, il mets les pieds dans les plats quitte à éclabousser. Les rumeurs vont vite à Olympe. Je me doutais que la présence d'Ariane dans mon palais ne resterait pas longtemps sous silence.

- Ce que tu as fait ... Un taureau ? Tu es sérieux ? tu as détruit une femme, un couple, une famille ! Tout ça pour quoi ?

- Tu ne vas pas me faire des reproches maintenant ? Je te rappelle que nous sommes des dieux, pas des enfants de chœur. Comment veux-tu qu'on nous respecte si nous ne faisons pas preuve d'une once d'autorité ?

- Ce n'est pas de l'autorité Poséidon ! C'est du sadisme ! Être un dieu ne te donne pas droit à tous les excès.

Poséidon éclate d'un rire cynique. Je ne suis personne pour lui faire peur. Seul mon père peut le faire trembler. Je suis frustré. Poséidon n'est que le commanditaire de cette boucherie. Aphrodite, mon ancienne amante, l'a épaulé en suscitant un désir monstrueux chez Pasiphae envers ce taureau. Il n'est pas le seul à blâmer. D'autres ont agi dans l'ombre pour concevoir le Minotaure. Je n'ai ni les moyens ni le temps de les faire payer un à un.

- Pasiphae n'est qu'une victime collatérale. Ce n'est pas après elle que j'en avais. Mais son mari Minos est le fils de Zeus, et quelque part, il est intouchable... Comme tu sais, j'ai une dette envers ton père. Quoiqu'il en soit, j'espère que Minos a bien souffert... Quant à sa fille... elle t'a manifestement tapé dans l'œil. Elle doit être belle dis-moi...

Ariane, elle s'appelle Ariane. Je serre les poings. Et oui, elle est très belle. Et sensible. J'en suis déjà fou amoureux.

Une dette. Un mot qui résume notre relation entre dieux. Nous avons tous une dette les uns envers les autres. C'est un jeu de pouvoir sans fin où nous passons notre temps à nous rembourser.

- Restes loin de moi, avec tes critiques. Tu sens la vinasse à plein nez. Rentre chez toi !

Je ne sais pas ce qui me retient de le frapper. Sa puissance peut-être. C'est le Dieu de la mer, Un Cronide qui plus est, un enfant du Titan Cronos.

- Elle n'est pas toute blanche non plus. Tu es un Dieu expérimenté, ne perds pas ton temps avec une mortelle. Tu mérites mieux que ça et....

Je n'ai pas attendu la fin de son discours pour lui tourner le dos. J'en avais assez entendu.

Lorsque j'ai rejoint ma demeure, passablement énervé et agacé, j'ai trouvé Ariane encore assoupie dans ma chambre. Je la lui ai laissée, en tant qu'invitée d'honneur. Je voulais qu'elle s'imprègne et qu'elle s'habitue à mon odeur, à son insu.

Cette fille est d'une beauté magnifique. C'est moi qui ne la mérite pas. Je pourrai la regarder dormir pendant des heures. Cela m'apaise tout entier : mes regrets, mes doutes, mes remords, mes erreurs. Mes blessures. Elle ne le sait pas encore, mais nous nous ressemblons beaucoup. Il me tarde de partager sa couche et bien plus encore.

Pour elle, je saurais être patient. Cela vaut la peine...

God's crushOù les histoires vivent. Découvrez maintenant